Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand

lundi 1 août 2016

Rétrospective 2015-2016 / Cérémonie des Marcels

Marcel Proust, parrain de la cérémonie des Marcels à son insu


Si la pause estivale laisse le temps de faire la rétrospective de la saison écoulée, c’est aussi, du moins sur Opernhaus VF, la saison des prix, avec notre grande Cérémonie des Marcels 2016. Les Marcels d’Or et d’Argent couronnent le meilleur de ce que nous avons vu et dont j’ai fait la chronique sur ce blog au cours de la saison écoulée. Ils s’accompagnent aussi d’une distribution de bonnets d’âne, les Marcels de Plomb, invitations amicales aux récipiendaires à donner une nouvelle direction à leurs petites carrières. Le jury des Marcels se compose de votre serviteur Swann, d’une bonne théière de thé Mariage Frères (thé noir, du Yunnan impérial), et de l’ordinateur portable sur lequel j’écris ces lignes.

C'est la gloire !


Une année est un temps finalement assez long, pendant laquelle on a le temps de voir beaucoup et sans doute trop : 21 articles ont été posté sur ce blog au cours des douze derniers mois relatant concerts, ballets et opéras. Face à cette abondance relative, il semble nécessaire de revenir quelques peu sur nos pas. C’est l’objet des Marcels, distinguer ce qui valait franchement le coup d’être vu, et qui mérite notre attention et une prise de risque la prochaine fois que nous voyons son nom à l’affiche.

C’est la honte !


A l’inverse, pourquoi distinguer aussi le mauvais ? Il y a certes pour moi une dimension cathartique, mais ce n’est pas l’objet. S’il est évident que des sensibilités différentes existent, qu’un même spectacle peut plaire ou déplaire selon les personnes, il existe aussi pour moi des absolus, à savoir des spectacles ou des éléments de spectacles objectivement mauvais. Malheureusement, ce genre de choses n’est dénoncé que trop rarement par les pages culturelles de la presse, qui ne semble pas avoir le courage de se mettre quelques personnes à dos en écrivant noir sur blanc qu’une mise en scène est nulle. Ou bien, si c’est le cas, le journal concurrent dira l’exact opposé (les deux grands quotidiens zurichois se contredisent presque pour chaque opéra). Mon but est donc de pointer un index accusateur et vengeur sur l’objectivement nul et sur les faussaires qui profitent des idiosyncrasies de la presse, de sa parfois coupable indulgence, pour continuer à dégouter les spectateurs d’avoir une vie culturelle un peu plus ambitieuse que la première de Magic Mike XXL au Corso.

Concerts


Bernard Haitink

Marcel d’Or – Concert classique 


Solistes : Camilla Tilling et Christian Gerhaher
Chœur : Zürcher Sing-Akademie
Direction : Bernard HaitinkTonhalle-Orchester Zürich

Bernard Haitink livrait une interprétation magistrale du requiem de Brahms, et en faisait vraiment ce requiem humain souhaité par Brahms. Une grande émotion.


Lionel Bringuier
Crédit photo : Priska Ketterer

Marcel d’Argent – Concert classique


Erik Satie – Gymnopédies I & III, orchestration par Claude Debussy
Direction : Lionel BringuierTonhalle-Orchester Zürich

C’est une œuvre courte et d’une moins grande ampleur, mais la version pour orchestre des Gymnopédies d’Erik Satie, dirigée par Lionel Bringuier, est désormais l’un des plus beaux morceaux pour orchestre que je connaisse (la partition originale pour piano, interprétée par Aldo Ciccolini, étant l’un des plus beaux morceaux pour piano que je connaisse).

Marcel de Plomb – Concert classique


Direction : Herbert BlomstedtTonhalle-Orchester Zürich

Un grand chef qui massacre à la limite du reconnaissable Grieg et Dvorak, et entrecoupe d’un concert de dissonances et d’expérimentations lourdingues sur un pauvre piano qui n’avait rien demandé. Les musiciens non plus, et ils semblaient plus peinés que moi.

Marcel spécial


Kraftwerk - Computer Love (MoMa - New York) 
Kraftwerk – KKL Luzern


Stricto-sensu, ce n’est pas de la musique classique, même si leur recherche artistique et formelle se rapproche plus du classique que de la pop à mes yeux. Toujours est-il que les concerts de Kraftwerk sont une expérience audio-visuelle, artistique, fascinante et en constante évolution. Ruez-vous sur les billets de leurs rares concerts si l’occasion se présente.







Ballet


Marcel d’Or – Ballet


Alexander Jones & Katja Wünsche - Crédit photo : Gregory Batardon
Aria
Chorégraphie de Douglas Lee
Katja Wünsche et Alexander Jones
















&

Viktorina Kapitonova & Manuel Renard - Crédit photo : Gregory Batardon

In the middle, somewhat elevated
Chorégraphie de William Forsythe
Ballet Zürich














William Forsythe développe une grande maestria dans son exercice de déconstruction des codes du ballet. Douglas Lee, en utilisant les mêmes codes que Forsythe détourne, et en visant la simple recherche esthétique, parvient à un résultat plus simple mais tout aussi frappant, peut-être plus, et d’une très grande beauté.


Marcel d’Argent - Ballet

Jan Casier, Filipe Portugal & Manuel Renard
Crédit photo : Judith Schlosser

Chorégraphie de Christian Spuck
Ballet Zürich



Dommage que la première partie soit si ennuyeuse, la deuxième est d’une intensité et d’une qualité rare.









Marcel d’interprétation – Ballet


Anna Khamzina dans Der Sandmann - Crédit photo : Carlos Quezada
Katja Wünsche & Anna Khamzina

La prestation d’Anna Khamzina en Olimpia dans Der Sandmann méritait d’être distinguée, étant la seule à nous tirer de la lourde torpeur dans lequel Christian Spuck plonge le spectateur dans sa chorégraphie, par sa magnifique interprétation.

N’étant absolument physionomiste, je reconnais pourtant Katja Wünsche sur scène dès qu’elle danse : l’accompagne systématiquement sur scène une aura qu’elle est la seule à posséder. Une précision, une qualité d’exécution, une élégance du geste qui ne sont propres qu’à elle.







Marcel de Plomb – Ballet


Chorégraphie de Marius Petipa, Lev Evanov et Alexei Ratmansky
Ballet Zürich

Il a beau s’être joué à guichets fermés avec une reprise la saison prochaine, il n’en reste pas moins que le Lac des cygnes n’était pas bien intéressant. Non pas du fait de ses interprètes, tous très bons, mais simplement parce que la machine à remonter le temps d’Alexander Ratmansky ne présente qu’un intérêt limité, si ce n’est qu’en tant que curiosité historique ou que conservatoire des techniques… La danse a évolué en 150 ans, et pour le mieux. Si vous aimez la danse, il y a plus intéressant à voir. Ceci dit, ce n’est pas mauvais, juste très ennuyeux, ce qui finalement positif si c’est le pire que le Ballet de Zürich a à nous montrer.

Opéra


Marcel d’Or – Opéra

Marcel de la mise en scène

Marcel des décors

Marcel des costumes

Mimi (Guagun Yu) & Rodolfo (Michael Fabiano)
Crédit photo : Judith Schlosser 

Direction : Giampaolo Bisanti
Mise en scène : Ole Anders Tandberg
Décor : Erlend Birkeland
Costumes : Maria Geber

Il y a ces occasions trop rares où on ne trouve rien à critiquer. Musicalement, sur les interprètes ou sur la mise en scène. Une mise en scène inspirée, originale, enlevée, géniale. Et sur les aspects techniques, enfin ! Un décor complexe, riche, beau, sans scène qui tourne comme un manège ou plancher incliné sans raison. Il en va de même pour les costumes, beaux et très justes, qui participent avec le travail sur le décor du succès de cette production, qui est rentrée immédiatement dans mon panthéon personnel à côté de la mise en scène de Don Giovanni par Michael Haneke à l’Opéra de Paris, il y une bonne dizaine d’années.













Marcel d’Argent – Opéra

Anne Ratte-Polle, Ivana Rusko, Scott Hendricks, Claire de Sévigné
Crédit photo : Tanja Dorendorf 

Direction : Gabriel Feltz
Mise en scène : Sebastian Baumgarten












&

Ruben Drole & Deanna Breiwick
Crédit photo : Hans Jörg Michel

Direction : Fabio Luisi
Mise en scène : Tatjana Gürbaca


















Die Hamletmaschine était la prise de risque du programme 2015-2016, l’accueil publique fut hélas mitigé. Dommage pour une œuvre intéressante et exigeante, intelligemment mise en scène et en musique.
La reprise de la mise en scène de la Flûte enchantée par Tatjana Gübarca, dont j’avais apprécié l’Aïda la saison passée, était une soirée très plaisante : bien interprétée et dirigée, avec une mise en scène qui dynamisait un livret plutôt connu pour ses longueurs. Dommage pour la pauvreté des décors et des costumes.

Marcel d’interprétation – Opéra

Evelyn Herlitzius - Photo Opernhaus Zürich

Evelyn Herlitzius (Elektra dans Elektra de Richard Strauss)

Dans ce qui est sinon un naufrage, Evelyn Herlitzius semble léviter au-dessus de la scène (sauf au début, où le metteur en scène la fait ramper) et livre une démonstration magistrale dans l’un des rôles les plus exigeants du répertoire lyrique.













Marcel de la direction musicale - Opéra

Fabio Luisi - Crédit photo : Monika Ritterhaus

Fabio Luisi (la Flûte enchantée)

Une direction musicale inspirée de la partition de Mozart par le directeur musical de l’Opernhaus.











Marcel de Plomb – Opéra


Direction : Daniele Rustioni
Mise en scène : Christoph Marthaler

Mise en scène débile et contente d’elle, interprètes aux fraises, chef d’orchestre parti cueillir les champignons, orchestre à la ramasse. Rien à sauver.

Petit Marcel de Plomb – Opéra


Direction : Lothar Koenigs
Mise en scène : Martin Kusej

Sauvé par Evelyn Herlitzius, le seul mérite de Martin Kusej étant de la laisser faire son travail en paix, pendant qu’il fait absolument tout et n’importe quoi derrière elle. A l’exception d’elle et de Michael Laurenz, le reste de la distribution oscille entre le médiocre et le consternant.

Marcel de Plomb de la mise en scène


Direction : Laurence Cummings
Mise en scène : Herbert Fritsch

« Oh, c’est dommage que vous soyez parti avant l’entracte pour King Arthur. »
- Je n'en pouvais vraiment plus et c'était sans espoir.
- Oh, mais vous savez, c’était mieux après l’entracte !
- ça ne pouvait pas vraiment être pire, non ?
L’ouvreuse a préféré ne pas répondre à cette dernière question.

Marcel de Plomb du décor


Michael Levine (Wozzeck) & Henrik Ahr (I Puritani)

Les décors les plus inintéressants de la saison sont ceux des deux mises en scène d’Andreas Homoki. On y trouve des similitudes frappantes : c’est laid, fade, pauvre, ça bouge mais ça n’apporte rien si ce n’est compliquer la vie des interprètes. Soyons indulgents avec les décorateurs, l’idée de départ doit venir du metteur en scène pour les deux décors. Mention spéciale pour les 4 grands cadres jaunes de Wozzeck. Au moins, ça n’a pas dû couter cher.

Marcel de Plomb du costume


Victoria Behr (King Arthur)

Les costumes de Victoria Behr pour King Arthur sont une violente agression visuelle. A sa décharge, les costumes sont assez dans le ton du dégueulis de mise en scène d’Herbert Fritsch, la laideur et les couleurs criardes sont, espérons, intentionnelles.



A la saison prochaine,



Swann