New sleep - William Forsythe
Skew-whiff - Sol León/Paul Lightfoot
Aria - Douglas Lee
Dialogos - Filipe Portugal (première)
Opernhaus Zürich, 20 décembre 2015
Restless : New sleep (William Forsythe) - Manuel Renard, Dominik Slavkovsky, Wei Chen et Eva Dewaele - Crédit photo : Gregory Batardon, Ballet Zürich |
En un mot: une bonne soirée de danse contemporaine
Alors que la fin d’année approchait (et si), l’Opernhaus nous proposait une dernière première, un dernier effort avant de laisser notre intellect hiberner quelques semaines pendant que nous retournons aux instincts primaires pour les fêtes : manger, boire, configurer son nouvel iPhone. Du ballet donc, pour finir, avec 4 courtes chorégraphies de danse contemporaine.
Forsythe par l’absurde
New sleep, crée en 1987, nous fait retrouver le duo William Forsythe et Thom Willems, déjà à l’oeuvre pour In the middle, somewhat elevated monté il y a quelques mois. Thom Willems propose une musique électronique lente aux sonorités rudes, industrielles, mais très épurée, qui offre une base idéale pour les changements de rythme, de style, les contrastes que Forsythe affectionne. New sleep se place dans la même veine de dépoussiérage du langage chorégraphique qu’In the middle : on retrouve la même volonté de surprendre, d’utiliser des éléments connus pour bâtir quelque chose d’inconnu, mais avec un parti pris cette fois très différent.
Cette fois, Forsythe créée l’inattendu, le déséquilibre, en introduisant dans le corps de ballet et dans une chorégraphie élégante un élément perturbateur : trois personnages costumés qui jouent tout au long de la chorégraphie avec des chapeaux, des boules de bowling de plus en plus démesurées, et une plante verte. Ils dansent aussi, mais en décalage complet avec le reste du ballet, avec des gestes saccadées, des poses d’automates, qui contrastent avec la fluidité des pas des autres danseurs. Il n’y a pas d’histoire à raconter : selon un Forsythe moqueur,il s’agit “d’une famille faisant de la recherche en sciences appliquées”. il s’agit donc d’une pure expérience formelle, et on y trouve un génie certain dans l’élégance avec laquelle les trois trublions s’insèrent dans le reste du ballet, s’y perdent avant soudainement d’attirer de nouveaux l’attention.
On notera un intéressant travail sur la construction de l’espace avec les lumières, utilisées pour découper la scène en zone de lumière, d’obscurité et de pénombre, zones qui changent brutalement et transforment d’un coup la scène et la perception de l’espace.
Comparé à In the middle, New Sleep n’est pas aussi réussi. Forsythe fait de ses trois personnages une distraction, qui sert son expérience formelle mais qui distrait trop le spectateur : au lieu de contempler la combinaison des éléments perturbateurs avec le reste du ballet, on en vient à ne se concentrer que sur eux. On lutte longtemps à comprendre les agissements du trio alors qu’il n’y a rien à y comprendre. Malheureusement, New sleep est une pièce courte, qui laisse peu de temps pour l’apprécier après qu’on l’ait comprise. Pourtant, une fois admis le caractère absurde de New sleep, on est témoin d’une expérience intéressante, similaire à In the middle : de la belle chorégraphie, avec ces ruptures qui surprennent, amusent, relancent constamment l’intérêt. Dommage, New sleep fonctionne moins bien et se laisse difficilement approcher. D’où les applaudissements chaleureux mais pas enthousiastes du public. Une tiédeur peut-être aussi causée par le très légère imprécision technique dans l’exécution, New sleep étant des 4 pièces au programme la moins bien interprétée (en termes tout relatifs).
Second degré
L’Opernhaus semble avoir un goût prononcé pour les chorégraphies venues du royaume d’Orange, une création du NDT2 figurant systématiquement au programme des dernières productions. Ce soir, il s’agissait de Skew-whiff, une chorégraphie du duo Sol Leon et Paul Lightfoot, présentée au Nederlands Dans Theater en 1996. New sleep et sa difficulté d’accès souffrirent un peu du contraste avec Skew-whiff, une chorégraphie très enlevée, légère, burlesque, directe. Surtout, l’humour de la chorégraphie se basait sur un jeu de déconstruction des éléments chorégraphiques assez similaire à ce que fait Forsythe, ce qui donnait presque l’impression de voir le complexe New sleep caricaturé par le léger Skew-whiff.
Skew-whiff est un mélange entre une chorégraphie nerveuse, très physique, et une nonchalance gouailleuse vis-à-vis des codes du ballet : on y moque la grandiloquence des musiques (Rossini en sort habillé Mammut pour l’hiver), les faunes ridicules, les scènes de séduction en pas de deux ampoulé du ballet à l’ancienne. Leon et Lightfoot peuvent se permettre ces critiques, car ils utilisent les mêmes éléments de langage, et les utilisent assez bien. La chorégraphie en elle-même n’est pas esthétiquement très recherchée, mais ils montrent tout de même qu’avec les mêmes ingrédients, on peut dire autre chose que le ballet de papa, on peut être léger, on peut en rire, et c’est effectivement assez drôle, bien que parfois un peu lourd. Leur message passe, mais a une portée tout de même limitée : Forsythe aussi innove avec le langage chorégraphique, mais a une autre ambition dans ce qu’il essaye de faire avec.
Peu importe, la chorégraphie est somme toute intéressante, et les quatre danseurs (Katja Wünsche, que l'on retrouve plus à son avantage juste après, Daniel Mulligan, Matthew Knight, Surimu Fukushi) impressionnent dans leur exécution de ce ballet très athlétique.
Pas plus de deux
Aria, de l’anglais Douglas Lee, crée au Balais de Stuttgart en 2012, occupe une place à part dans la soirée, de par sa simplicité et son absence d’artifice comparé au reste du programme. Il s’agit d’un simple pas de deux, sans message, sans tentative de réécrire la danse contemporaine. Sa seule recherche semble être la simple beauté de le chorégraphie. Si d’aucun pourraient affirmer qu’Aria n’était pas le ballet le plus intéressant du programme, c’était en tout cas le plus beau moment de la soirée : la confusion de New Sleep lui nuit, pour drôle qu’il soit, la chorégraphie de Skew-whiff n’est pas particulièrement belle, et si Dialogos a plus d’ambition, Douglas Lee, en se concentrant sur un simple et bref pas de deux, offre quelque chose de singulièrement plus pur et plus beau, avec ce soir deux solistes (Katja Wünsche et Alexander Jones) parfaitement en phase avec la chorégraphie.
Il y a peu à dire. C'est simplement très beau.
Tous en scène
Le dernier segment de la soirée était la création de Dialogos, de Filipe Portugal, soliste du Ballet de Zürich, et dont il s’agissait de la première chorégraphie jouée par le corps de ballet principal. Chose rare, le pianiste et compositeur zurichois Nik Bärtsch et son groupe Mobile jouaient la musique du ballet depuis la scène même, une sorte de jazz minimaliste un peu groové assez agréable à l’oreille, et offrant une belle matière avec laquelle le chorégraphe peut travailler. Sur cela, Portugal construit une jolie chorégraphie, variée et dynamique. D’aucun lui reprocherait son académisme, Portugal semblant certes vouloir démontrer sa maîtrise des différents tropes chorégraphiques (danseurs seuls, pas de deux, en groupes…), ce qui est je pense une sorte de parcours imposé pour un jeune chorégraphe ; parcours imposé dont Portugal se sort cependant avec une grande élégance.
Au delà de cette remarque sur la forme, Dialogos contient sur le fond des éléments très intéressants et très prometteurs quant aux futures créations de Filipe Portugal. Tout d’abord, une capacité à mettre en scène des mouvements remarquablement complexes avec des danseurs évoluants en parallèle sur un grand nombre de schémas distincts. La complexité et l’équilibre des tableaux qu’il compose ainsi forcent déjà un certain respect. De plus, Portugal présente un travail intéressant sur les portés, domaine dans lequel il s’autorise quelques belles audaces : rigoureusement exécutés par les danseurs malgré leur difficulté physique et technique, ses portés semblent suspendre les danseurs dans les airs de manière tout à fait remarquable.
En résumé, la chorégraphie de Filipe Portugal, parfaitement portée par ses collègues du Ballet, faisait très bonne impression et annonçait un avenir prometteur pour Filipe Portugal, s’il évite toutefois deux écueils : un goût un peu trop prononcé pour les mouvements trop athlétiques (un des portés tombait complètement à plat, car relevant plus du numéro de main-à-main que du ballet), et un discernement des couleurs contestable, au vu des costumes sensiblement horribles de Claudia Binder.
Restless : Aria (Douglas Lee) - Katja Wünsche et Alexander Jones - Crédit photo : Gregory Batardon, Ballet Zürich |
C’est ainsi avec une belle revue de danse contemporaine, des chorégraphes établis aux jeunes chorégraphes, des années 80 à 2015, que le Ballet souhaitait entrer en 2016. Un spectacle à voir, offrant une belle variété de point de vue sur le ballet contemporain.
Bonne année 2016,
Swann