Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand
La Vie parisienne (1866) - Opéra-bouffe en quatre actes de Jacques Offenbach, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy
Direction : Sébastien Rouland - Mise en scène : Laurent Pelly
Le baron de Gondremark : Laurent Naouri
Opéra national de Lyon - 2007
Sans vouloir pousser le lecteur à de quelconques excès, je souhaite néanmoins saisir l'occasion de souhaiter sur ce média de bonnes fêtes, un joyeux Noël et une bonne année aux Internautes qui passeront par là. Puissent la musique festive d'Offenbach, et les bonnes résolutions du baron de Gondremark instiller une humeur festive dans vos chaumières.
Le Ballet de Zürich nous proposait pour sa première production de l’année deux chorégraphies modernes sur des ballets classique de Stravinski, Petrouchka et le Sacre du Printemps, les deux chorégraphes proposant chacun des lectures plutôt sombres des œuvres en question.
La Philharmonie de Zürich était dirigée pour les deux ballets par Domingo Hindoyan, et l’interprétation était appliquée et de bonne facture, sans doute la meilleure interprétation d’une partition de ballet que j’ai entendue jusqu’à présent à Zürich, qui est souvent hélas le parent pauvre dans les ballets.
Petrouchka ouvrait la danse (jeu de mot, c’est la rentrée), avec William Moore dans le rôle-titre, accompagné dans les deux autres rôles d’automates de Katja Wünsche et Tigran Mkrtchyan, dans une chorégraphie de Marco Goecke. L’argument du ballet s’intéresse à trois poupées de bois, Petrouchka, la Ballerine et le Maure, rendues vivantes par un mage (Christopher Parker). Petrouchka est amoureux de la Ballerine, qui lui préfère le Maure. Petrouchka, poussé par le chagrin, provoque et se bat avec le Maure qui, plus fort que lui, le tue.
L’argument du ballet d’origine, crée par les Ballets russes à Paris en 1911, avec une chorégraphie de Michel Fokine, est typique des ballets de l’époque, avec décors, costumes, grandes fêtes de village... Marco Goecke s’est débarassé de tout ce folklore pour faire quelque chose de beaucoup plus sobre sur le sujet. On joue quasiment sans décor devant un rideau noir, les costumes sont simples. Goecke pousse sans doute un peu trop loin l’épure : l’argument est assez mal présenté, c’est assez morne et les mouvements du corps de ballet ne présentent que peu d’intérêt. Il y a quelques passages intéressants, particulièrement la scène de séduction, le pas de deux entre la Ballerine et le Maure, très élégamment composé. Les danseurs étaient irréprochables, mais on semblait percevoir que le chorégraphe n’employait pas tous leurs talents, qu’ils étaient capables de plus, de mieux, si la chorégraphie leur avait laissé cette chance.
J’ai préféré Petrouchka à, par exemple, la reconstruction de la chorégraphie originale de Marius Petipa du Lac des Cygnes par Alexei Ratmansky : se débarrasser du carcan à la Disney (costumes et décors façon Cendrillon) et profiter de 100 ans de développement artistique de l’art chorégraphique ouvrent de grandes possibilités créatives, dont profite Marco Goecke. Sa chorégraphie n’est pas mauvaise, loin de là, je la trouve simplement passablement morne, et un peu ennuyeuse.
Le Sacre du Printemps
Guilia Tonelli, danseurs du Ballet de Zürich - Crédit photo : Gregory Batardon
Pour Edward Clug, le Sacre du Printemps n’a rien d’une célébration païenne et joyeuse du printemps, malgré un petit sacrifice humain de rigueur. Dès le début, l’ambiance est tendue, inquiétante, il ne semble pas y avoir de véritable communion entre les danseurs jusqu’au moment très précoce où la future victime est mise à l’écart. A partir de ce moment, la troupe se ligue contre la victime désignée, que pourtant rien ne distingue des autres danseuses, la rejette hors du groupe puis la tourmente.
J’ai beaucoup plus apprécié cette chorégraphie, à mon sens plus inspirée et originale, que Petrouchka avant l’entracte. Les mouvements du corps de ballet sont très intéressants, comme ce passage au tout début où les danseurs, sur deux rangées, intervertissent un à un leurs positions, des déplacements et des échanges d’une fluidité confondante et visuellement très intéressante. En elle-même, la chorégraphie est donc marquante avant même que Clug ne s’ouvre de nouvelles possibilités par l’introduction d’un élément physique qui transforme la scène : l’eau. A la moitié du ballet, de l’eau se déverse sur les danseurs en cercle, suffisamment pour recouvrir la scène. Cela permet de très intéressants mouvements au sol dans lesquels les danseurs lancent leur partenaire à travers la scène, glissant sur la mince couche d’eau d’un danseur à l’autre. Loin d’être anecdotique, Clug utilise les nouvelles possibilités de mouvements ainsi offertes pour poursuivre son récit. Il s’autorise aussi des figures et des combinaisons remarquablement complexes entre les danseurs, qui glissent de position en position avec une précision millimétrique.
C’était donc un ballet très intéressant, rafraichissant, auquel on ne peut reprocher que sa grande noirceur, qui semble un peu artificielle, un peu forcée par rapport au sujet et à la musique.
Des vertus de l’aquaplaning appliqué au ballet
Ce sont donc deux ballets modernes intéressants qui nous sont proposé pour l’automne, l’un (le Sacre) certainement supérieur à l’autre, mais avec tous deux leurs mérites, et ce pour une soirée de danse contemporaine enrichissante à laquelle je vous recommande d’aller, si le cœur vous en dit.
Au printemps dernier, j’avais écrit sur ces
pages pis que pendre d’Herbert Fritsch pour sa mise en scène abominable de King Arthur, c’était donc avec un
certain effroi que je découvrais que le premier opéra de la saison, Der Freischütz, lui était confié.
J’étais en revanche nettement plus enthousiaste pour L’enlèvement au sérail de Mozart, œuvre que j’avais à cœur de voir
montée. Nonobstant mes récriminations, je décidais de continuer à jouer le jeu
pour la saison 2016-2017 et de me reprendre un abonnement, d’aller vaillamment
à tout, le bon comme le mauvais, ce que l’Opernhaus nous proposait de neuf
cette saison. C’est l’avantage des abonnements, ils nous tirent des sentiers
battus, nous poussent vers des œuvres vers lesquelles nous ne serions pas allés
de nous-même, et nous réservent parfois des surprises.
Der Freischütz - Opéra en trois actes de Carl Maria von Weber, sur un livret de Johann Friedrich Kind (1821)
Direction : Marc Albrecht - Mise en scène : Herbert Fritsch
Opernhaus Zürich, 21 septembre 2016
Max (Christopher Ventris) - Crédit photo : Hans Jörg Michel
En un mot : un toilettage efficace
Der
Freischütz est un opéra romantique de Carl Maria
von Weber créé en 1821 à Berlin. On y raconte les aventures du pauvre Max,
chasseur, qui doit réussir pour obtenir la main de son aimée un concours de
tir. Craignant d’échouer, il se laisse convaincre par Kaspar de forger des
balles magiques, ruse de Kaspar, qui a vendu son âme au diable Samiel, et qui
compte sur ce tour pour livrer Max à Samiel. Tout finira bien, Max se marie à
Agathe, Kaspar est tué par sa propre balle magique, l’ordre et l’harmonie sont
rétablis dans la forêt. Soyons francs : on a fait mieux, comme livret.
C’est de l’opérette pastorale chez les braves paysans, et tout cette histoire
n’est pas bien intéressante.
Herbert Fritsch est du même avis, mais au
lieu d’attaquer à la masse de démolition l’œuvre comme pour King Arthur, dans l’espoir que les
gravas seront plus intéressants, il choisit fort heureusement une approche plus
fine, plus subtilement subversive et finalement très efficace. Il colle au
livret cette fois-ci, mais prend un peu de distance et ajoute une certaine
ironie dans le traitement d’un texte sinon passablement niais et ennuyeux.
Ainsi, le village des braves paysans ressemble à un village-jouet abstrait,
avec de grandes formes géométriques figurant une maison, une église. Les
costumes de Victoria Behr, assez jolis (un très grand progrès comparé au
concours de laideur entre ses costumes pour King
Arthur), sont de même des versions outrées, parodiques, des costumes de
chaque personnage. Chacun des personnages, caricature vivante dans le livret
(le vieux forestier, le brave chasseur, la frêle jeune fille, le bon prince…)
sont gentiment tournés en ridicule par leur costume et leur jeu, sans pour
autant dénaturer les personnages. Non, il s’agit juste de ne pas prendre le
livret avec trop de gravité ou de sérieux, il ne le mérite pas vraiment. Aussi,
Fritsch fait du démon Samiel (Florian Anderer), qui n’apparait théoriquement
que très rarement, un ressort comique : tout le temps sur scène mais
invisible aux personnages, c’est un grand personnage souriant avec une barbe à
la Méphistophélès habillé d’un juste-au-corps, d’une cape et d’un chapeau rouge
vif, doté d’une queue fourchue qui traîne par terre derrière lui, qui se
balade, grimpe sur le décor et fait le pitre, en attendant que le malheur
s’abatte sur les personnages. Dans un opéra sérieux, ça ne marcherait pas, mais
voir Samiel tenter de libérer sa queue, pendant un chœur un peu longuet, du
personnage qui a mis le pied dessus, est assez jubilatoire et offre une
respiration bienvenue. Le succès de cet effet doit beaucoup au talent de mime
et pour l’humour visuel de Florian Anderer, très drôle. La mise en scène n’est
pas géniale pour autant, certes, et on peut douter de la capacité de Fritsch à
monter des œuvres plus sérieuses et de plus grande envergure s’il leur applique
la même recette, mais elle demeure tout à fait plaisante : il a su faire
preuve à raison de plus de retenue, sa mise en scène est moins invasive et
nettement mieux dosée, on peut juste se
plaindre qu’il en fasse encore un poil trop. Samiel est ainsi un peu trop
employé, et distrait à quelques moments par ses élucubrations de la musique,
pourtant très agréable.
Musicalement, je me suis découvert un grand
amour pour la partition de Weber, une très élégante synthèse entre Mozart et
Beethoven, très bien dirigée par Marc Albrecht, et servie par une très bonne
distribution, Christopher Ventris en tête dans le rôle de Max. C’était donc,
pour moi une très bonne surprise ce soir-là.
L'Enlèvement au sérail - Singspiel en trois actes de Wolfgang Amadeus Mozart, sur un livret de Gottlieb Stefanie (1782)
Direction : Maxim Emelyanychev- Mise en scène : David Hermann
Opernhaus Zürich, 11 novembre 2016
Konstanze (Olga Peretyatko) & Bassa Selim (Sam Louwyck) - Crédit photo : T + T Fotografie / Tanja Dorendorf
En un mot : une perte de temps
En revanche, j’ai renoué avec mes vieilles
habitudes dès la deuxième production de l’année, en partant à l’entracte de l’Enlèvement au sérail de Mozart, dans
une mise en scène indigente de David Hermann, et sous la direction contestable
de Maxim Emelyanychev.
Musicalement, on est devant ce que j’ai
baptisé en mon for intérieur « l’effet cassette », en souvenir du son
grésillant et sans ampleur du magnétophone sur lequel tournais
sempiternellement la même cassette fatiguée de concerto de Mozart pendant les
vacances. Concrètement, cela donne une direction molle, sans dynamique, aux
attaques imprécises, l'orchestre La Scintilla brillant par son absence de relief et de netteté : autant s’écouter un bon enregistrement sur CD à la
maison. Ni Pavol Breslik en Belmonte, ni Olga Peretyatko en Constanze, ni le
reste de la distribution ne sont à jeter aux orties, mais aucun ne convainc.
Côté mise en scène, David Hermann n’a
aucune idée de mise en scène proprement utile, rien ne vient réellement porter
l’intrigue, ses seuls apports sont des gadgets qui n’apportent rien (les
janissaires remplacés par des femmes en tchador) ou nuisent à la mécanique
dramatique (une scène dans un restaurant où les convives se plaignent du bruit
que font les solistes, des changements de décor en veux-tu en voilà à n’y plus
rien comprendre). La seule idée potentiellement intéressante consistait à
apparier les personnages en paire maître-serviteur, et en habillant et
maquillant les interprètes de chaque paire de manière semblable. Un moyen
intéressant de pointer la symétrie entre le monde des nobles et celui des
serviteurs, que l’on retrouve presque toujours chez Mozart en particulier. Las,
Hermann se contente juste de faire entrer et sortir les personnages de la scène
au hasard, sans respect pour le livret. On a l’impression qu’Hermann ne sait
pas vraiment mettre en scène (de fait, il y a très peu de jeu de la part des
personnages « actifs » dans chaque scène), et se contente de noyer le
poisson dans des artifices sans intérêt et qui rendent l’œuvre illisible.
A endurer une interprétation médiocre dans
une mise en scène lourde et sans intérêt, j’ai donc décidé qu’il y avait
meilleur usage à faire de mon temps qu’en endurer 90 minutes de plus.
J’ai connu une enfance
heureuse dans une famille harmonieuse, entourés de parents aimants. Quel
rapport avec Christian Spuck et Verdi ? Absolument aucun, si ce n’est que
le Requiem de Verdi a toujours été l’un des rares sujet de discorde, je sais
donc à quel point ce peut-être une œuvre clivante. Néanmoins, concernant la grande
production de l’année de l’Opernhaus et de son directeur du Ballet, Christian
Spuck, les avis n’étaient pas clivés du tout, le dithyrambe étant le mot
d’ordre général dans la presse et les standings ovations staliniennes la norme pour
sa centaine d’interprètes sur scène. Trouvant cet unanimisme suspect, j’ai enfilé
mes jolis souliers cirés et suis allé mener l’enquête.
Une messe des morts
La Messa de requiem de Guiseppe Verdi fut
créée en 1874, pour l’anniversaire de la mort du poète Alessandro Manzoni,
intellectuel engagé comme Verdi pour l’unification italienne. Elle a pour base
un Libera me composé par Verdi
quelques années auparavant pour une messe à la mémoire de Rossini commandée à
plusieurs compositeurs italiens. Si le séquençage reste extrêmement proche de
la liturgie catholique, le Requiem de
Verdi reste très proche sur le style de ses opéras. L’interprétation requiert
une quantité non-négligeable de main-d’œuvre puisque l’œuvre fait appel à un
orchestre symphonique, quatre solistes, ainsi qu’à un double chœur.
C’est donc un grand
navire que Fabio Luisi, à la direction d’orchestre, devait faire naviguer sur
les flots tumultueux de l’Achéron. Devant les grands contrastes entre passages
forts, violents, fougueux (le Dies Irae
vient immédiatement à l’esprit) et moments de méditation et d’inquiétude sourde
(comme les premières notes de l’Introït),
il n’est pas chose facile de faire manœuvrer un si grand nombre d’interprètes
avec la finesse nécessaire. L’interprétation de Fabio Luisi est à cet égard
très bonne, très mesurée, ne cédant pas aux sirènes du fortissimo criard, tout
en menant les chœurs et l’orchestre avec délicatesse et fermeté dans les
passages plus délicats. Il est regrettable que les chœurs ne se montrent pas
toujours au niveau de leur chef d’orchestre : il est difficile de ne pas
jeter la pierre à ce niveau quand les chœurs se retrouvent en retard d’un petit
demi-temps sur le premier Dies Irae pour une douzaine de mesures, ou se
fourvoient à chanter pour quelques instants non pas Verdi, mais ce que le chef
de chœur de ma chorale d’amateur appelait « du yaourt ». Selon la
page Facebook de l’Opernhaus, tous les interprètes n’ont été réunis que
tardivement et ont peu répété tous ensemble, ce qui peut sans doute expliquer
ces regrettables soucis de réglage. En ce qui concerne les solistes, Krassimira
Stoyanova, Veronica Simeoni et Georg Zeppenfeld étaient très bons, Francesco
Meli étant en revanche, malgré sa réputation dans le répertoire verdien, assez
désagréable à entendre, particulièrement au début, touchant toutes ses notes
mais sans aucune élégance.
Au-delà de la
partition et de son interprétation, ce qui faisait la singularité de cette
production était l’alliance de l’orchestre et des chœurs avec les danseuses et
danseurs du Ballet de Zürich, dans une chorégraphie originale de Christian
Spuck écrite pour et créée à l’Opernhaus. Cela constitue un premier défi de
taille, à savoir la scénographie : comment gérer solistes, chœurs et
danseurs en nombre sur une seule scène pour fournir un résultat consistant ?
Sous cet angle, on ne peut qu’admirer les qualités techniques de la
production : malgré les petits bémols suscités, l’interprétation est de
bonne facture, les danseurs comme toujours excellents, le décor sans fioritures
mais fonctionnel, la lumière bien gérée, et les différents interprètes se
déplacent sur la scène avec ordre et rigueur sans confusion ni gêne, alors même
que le plateau reste relativement petit.
Un artifice
Au-delà des qualités
techniques, qu’en est-il de la valeur artistique ? On ne peut pas dire que
les chorégraphies de Christian Spuck manquent d’élégance. Les séquences sont
jolies et font intervenir un nombre étonnement élevé de danseurs pour un si
petit espace, sans donner la moindre impression de confusion ou de tassement. Est-ce
original ? Non. Cela n’apporte aucun élément nouveau, et cela ressemble
fortement à du Christian Spuck, avec en particulier des pans entiers qu’on
semble avoir déjà vu dans ses chorégraphies précédentes : Spuck a par
exemple une affinité pour faire danser autour, sur et sous des tables qui
surprend la première fois, puis lasse à la troisième itération quand on la
retrouve encore mais dans un requiem. C’est joli mais plat, sans originalité
voire répétitif, bien exécuté mais d’un intérêt somme toute limité. A ceci, il
faut ajouter que certains passages de la partition ne laissent pas de grandes
possibilités : les danseurs sont bien là, mais il est clair qu’ils « meublent »
par des pas sans intérêt aucun en attendant des segments plus dansants.
Pourtant, j’apprécie
le talent de Spuck pour raconter des histoires et peindre des personnages par
la danse, chose pour laquelle il a une intuition et un talent surnaturel, il
peut pour son malheur (et le nôtre) être un chorégraphe très ennuyeux quand il
ne fait pas avancer son histoire. Malheureusement, il n’y a ni histoire ni
personnages dans ce Requiem, sa chorégraphie ayant simplement pour but de faire
incarner les émotions liées à chaque air. Dans le pire des cas, cela suscite une
certaine compassion pour le pauvre William Moore, contraint de danser la danse
de Saint-Guy, de se rouler par terre frénétiquement, sans grâce aucune, pendant
le Dies Irae. Mais en général, c’est du Spück dans ses mauvais moments le
plus banal : c’est élégant, ce n’est pas vilain, mais cela suscite un ennui
poli.
C’est un peu dommage
de voir tant d’énergie et de talents (c’est effectivement une très grosse
production) dépensés pour un résultat si terriblement tiède, un exercice de
style dont on ne voit finalement pas réellement l’intérêt. C’est peut-être là
le problème de ce Requiem : le
transformer en ballet avait-il du sens ? Car jamais la danse ne semble
vraiment bien s’associer à la musique de Verdi. Elle reste distincte, quand
elle n’est pas une distraction. Cela rappelle un peu le concert du Nouvel an de
la Musikverein de Vienne, et ses numéros de danse ampoulés accompagnant la
retransmission télévisée. La chorégraphie de Spuck est plus élégante, plus
élaborée, moins kitsch, mais tombe tout autant comme un cheveu sur la soupe,
dont se dispenser n’aurait finalement pas été un grand mal. Finalement, je fais
ici le même reproche à Christian Spuck que je lui faisais sur Der Sandmann : avoir mal choisi son
sujet, avoir choisi un sujet qui ne se prêtait pas franchement à un ballet. Une
erreur regrettable, tant Spuck peut faire merveille sur un sujet adapté, comme
son Woyzeck.
L'ennui
Au final, on regarde
et écoute de bons musiciens exécuter avec brio une belle partition, et de bons
danseurs exécuter avec brio un ballet sans grand intérêt, car n’arrivant jamais
à être complémentaire avec la musique. On passe donc une centaine de minutes
dans cette douce léthargie qui caractérise les spectacles qui n’ont pas
suffisamment de qualités pour qu’on se laisse franchement intéresser, sans
avoir non plus de gros défauts. Entre contemplation de la liste de course pour
le lendemain, et réflexions sur le casse-croûte à avaler en sortant, on en
vient à penser à cette phrase de Shakespeare, qui semble bien résumer la
lecture que donne Spuck de la messe des morts : « Mourir, dormir,
rien de plus ». Dommage.
Swann
P.S.: Arte diffusera une captation de cette production le 18 décembre 2016 à 23h05. A bon entendeur si vous ne trouvez pas le sommeil le 18 !
P.P.S. : dimanche
dernier, jour de la première de ce Requiem, décédait Marcel Gottlieb, dit
Gotlib, auteur génial de nombreuses bande-dessinées, pilier de Pilote,
fondateur de l’Echo des Savanes puis de Fluide Glacial, monument de la
bande-dessinée franco-belge. Quel rapport entre Opernhaus VF d’une part, Pilote
et Fluide Glacial d’autre part ? Absolument aucun, si ce n’est que Gotlib
fut une de mes lectures favorites et une influence majeure, qu’on retrouve un
peu j’espère dans le style d’Opernhaus VF. S’il nous regarde, j’espère qu’il
s’est moins ennuyé que moi devant ce Requiem, et qu’au pire il a sorti son bloc
pour y dessiner encore quelques coccinelles. Et comme l'Opernhaus ne met pas de bande-annonce en ligne, je mets une coccinelle.
P.P.S. : tiens, ils ont fini par publier la bande-annonce