Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand

mercredi 14 décembre 2016

Stravinsky - Petruschka / Sacre

Petrouchka (1911) & le Sacre du Printemps (1913)

Musique d’Igor Stravinski

Chorégraphies de Marco Goecke & Edward Clug

Direction : Domingo Hindoyan

Philharmonie de Zürich


En un mot: un peu trop sombre mais intéressant


Le Ballet de Zürich nous proposait pour sa première production de l’année deux chorégraphies modernes sur des ballets classique de Stravinski, Petrouchka et le Sacre du Printemps, les deux chorégraphes proposant chacun des lectures plutôt sombres des œuvres en question.

La Philharmonie de Zürich était dirigée pour les deux ballets par Domingo Hindoyan, et l’interprétation était appliquée et de bonne facture, sans doute la meilleure interprétation d’une partition de ballet que j’ai entendue jusqu’à présent à Zürich, qui est souvent hélas le parent pauvre dans les ballets. 


Petrouchka



Petrouchka (William Moore) - Crédit photo : Gregory Batardon



Petrouchka ouvrait la danse (jeu de mot, c’est la rentrée), avec William Moore dans le rôle-titre, accompagné dans les deux autres rôles d’automates de Katja Wünsche et Tigran Mkrtchyan, dans une chorégraphie de Marco Goecke. L’argument du ballet s’intéresse à trois poupées de bois, Petrouchka, la Ballerine et le Maure, rendues vivantes par un mage (Christopher Parker). Petrouchka est amoureux de la Ballerine, qui lui préfère le Maure. Petrouchka, poussé par le chagrin, provoque et se bat avec le Maure qui, plus fort que lui, le tue.

L’argument du ballet d’origine, crée par les Ballets russes à Paris en 1911, avec une chorégraphie de Michel Fokine, est typique des ballets de l’époque, avec décors, costumes, grandes fêtes de village... Marco Goecke s’est débarassé de tout ce folklore pour faire quelque chose de beaucoup plus sobre sur le sujet. On joue quasiment sans décor devant un rideau noir, les costumes sont simples. Goecke pousse sans doute un peu trop loin l’épure : l’argument est assez mal présenté, c’est assez morne et les mouvements du corps de ballet ne présentent que peu d’intérêt. Il y a quelques passages intéressants, particulièrement la scène de séduction, le pas de deux entre la Ballerine et le Maure, très élégamment composé. Les danseurs étaient irréprochables, mais on semblait percevoir que le chorégraphe n’employait pas tous leurs talents, qu’ils étaient capables de plus, de mieux, si la chorégraphie leur avait laissé cette chance.
J’ai préféré Petrouchka à, par exemple, la reconstruction de la chorégraphie originale de Marius Petipa du Lac des Cygnes par Alexei Ratmansky : se débarrasser du carcan à la Disney (costumes et décors façon Cendrillon) et profiter de 100 ans de développement artistique de l’art chorégraphique ouvrent de grandes possibilités créatives, dont profite Marco Goecke. Sa chorégraphie n’est pas mauvaise, loin de là, je la trouve simplement passablement morne, et un peu ennuyeuse.


Le Sacre du Printemps


Guilia Tonelli, danseurs du Ballet de Zürich - Crédit photo : Gregory Batardon



Pour Edward Clug, le Sacre du Printemps n’a rien d’une célébration païenne et joyeuse du printemps, malgré un petit sacrifice humain de rigueur. Dès le début, l’ambiance est tendue, inquiétante, il ne semble pas y avoir de véritable communion entre les danseurs jusqu’au moment très précoce où la future victime est mise à l’écart. A partir de ce moment, la troupe se ligue contre la victime désignée, que pourtant rien ne distingue des autres danseuses, la rejette hors du groupe puis la tourmente.

J’ai beaucoup plus apprécié cette chorégraphie, à mon sens plus inspirée et originale, que Petrouchka avant l’entracte. Les mouvements du corps de ballet sont très intéressants, comme ce passage au tout début où les danseurs, sur deux rangées, intervertissent un à un leurs positions, des déplacements et des échanges d’une fluidité confondante et  visuellement très intéressante. En elle-même, la chorégraphie est donc marquante avant même que Clug ne s’ouvre de nouvelles possibilités par l’introduction d’un élément physique qui transforme la scène : l’eau. A la moitié du ballet, de l’eau se déverse sur les danseurs en cercle, suffisamment pour recouvrir la scène. Cela permet de très intéressants mouvements au sol dans lesquels les danseurs lancent leur partenaire à travers la scène, glissant sur la mince couche d’eau d’un danseur à l’autre. Loin d’être anecdotique, Clug utilise les nouvelles possibilités de mouvements ainsi offertes pour poursuivre son récit. Il s’autorise aussi des figures et des combinaisons remarquablement complexes entre les danseurs, qui glissent de position en position avec une précision millimétrique.
C’était donc un ballet très intéressant, rafraichissant, auquel on ne peut reprocher que sa grande noirceur, qui semble un peu artificielle, un peu forcée par rapport au sujet et à la musique.


Des vertus de l’aquaplaning appliqué au ballet



Ce sont donc deux ballets modernes intéressants qui nous sont proposé pour l’automne, l’un (le Sacre) certainement supérieur à l’autre, mais avec tous deux leurs mérites, et ce pour une soirée de danse contemporaine enrichissante à laquelle je vous recommande d’aller, si le cœur vous en dit.



Swann



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