Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand

dimanche 11 décembre 2016

Verdi - Requiem

Ballet de Christian Spuck

Direction : Fabio Luisi

Opernhaus Zürich, 6 décembre 2016



Crédit photo : Gregory Batardon



En un mot: le grand sommeil


J’ai connu une enfance heureuse dans une famille harmonieuse, entourés de parents aimants. Quel rapport avec Christian Spuck et Verdi ? Absolument aucun, si ce n’est que le Requiem de Verdi a toujours été l’un des rares sujet de discorde, je sais donc à quel point ce peut-être une œuvre clivante. Néanmoins, concernant la grande production de l’année de l’Opernhaus et de son directeur du Ballet, Christian Spuck, les avis n’étaient pas clivés du tout, le dithyrambe étant le mot d’ordre général dans la presse et les standings ovations staliniennes la norme pour sa centaine d’interprètes sur scène. Trouvant cet unanimisme suspect, j’ai enfilé mes jolis souliers cirés et suis allé mener l’enquête.


Une messe des morts



La Messa de requiem de Guiseppe Verdi fut créée en 1874, pour l’anniversaire de la mort du poète Alessandro Manzoni, intellectuel engagé comme Verdi pour l’unification italienne. Elle a pour base un Libera me composé par Verdi quelques années auparavant pour une messe à la mémoire de Rossini commandée à plusieurs compositeurs italiens. Si le séquençage reste extrêmement proche de la liturgie catholique, le Requiem de Verdi reste très proche sur le style de ses opéras. L’interprétation requiert une quantité non-négligeable de main-d’œuvre puisque l’œuvre fait appel à un orchestre symphonique, quatre solistes, ainsi qu’à un double chœur.

C’est donc un grand navire que Fabio Luisi, à la direction d’orchestre, devait faire naviguer sur les flots tumultueux de l’Achéron. Devant les grands contrastes entre passages forts, violents, fougueux (le Dies Irae vient immédiatement à l’esprit) et moments de méditation et d’inquiétude sourde (comme les premières notes de l’Introït), il n’est pas chose facile de faire manœuvrer un si grand nombre d’interprètes avec la finesse nécessaire. L’interprétation de Fabio Luisi est à cet égard très bonne, très mesurée, ne cédant pas aux sirènes du fortissimo criard, tout en menant les chœurs et l’orchestre avec délicatesse et fermeté dans les passages plus délicats. Il est regrettable que les chœurs ne se montrent pas toujours au niveau de leur chef d’orchestre : il est difficile de ne pas jeter la pierre à ce niveau quand les chœurs se retrouvent en retard d’un petit demi-temps sur le premier Dies Irae pour une douzaine de mesures, ou se fourvoient à chanter pour quelques instants non pas Verdi, mais ce que le chef de chœur de ma chorale d’amateur appelait « du yaourt ». Selon la page Facebook de l’Opernhaus, tous les interprètes n’ont été réunis que tardivement et ont peu répété tous ensemble, ce qui peut sans doute expliquer ces regrettables soucis de réglage. En ce qui concerne les solistes, Krassimira Stoyanova, Veronica Simeoni et Georg Zeppenfeld étaient très bons, Francesco Meli étant en revanche, malgré sa réputation dans le répertoire verdien, assez désagréable à entendre, particulièrement au début, touchant toutes ses notes mais sans aucune élégance.

Au-delà de la partition et de son interprétation, ce qui faisait la singularité de cette production était l’alliance de l’orchestre et des chœurs avec les danseuses et danseurs du Ballet de Zürich, dans une chorégraphie originale de Christian Spuck écrite pour et créée à l’Opernhaus. Cela constitue un premier défi de taille, à savoir la scénographie : comment gérer solistes, chœurs et danseurs en nombre sur une seule scène pour fournir un résultat consistant ? Sous cet angle, on ne peut qu’admirer les qualités techniques de la production : malgré les petits bémols suscités, l’interprétation est de bonne facture, les danseurs comme toujours excellents, le décor sans fioritures mais fonctionnel, la lumière bien gérée, et les différents interprètes se déplacent sur la scène avec ordre et rigueur sans confusion ni gêne, alors même que le plateau reste relativement petit.


Un artifice



Au-delà des qualités techniques, qu’en est-il de la valeur artistique ? On ne peut pas dire que les chorégraphies de Christian Spuck manquent d’élégance. Les séquences sont jolies et font intervenir un nombre étonnement élevé de danseurs pour un si petit espace, sans donner la moindre impression de confusion ou de tassement. Est-ce original ? Non. Cela n’apporte aucun élément nouveau, et cela ressemble fortement à du Christian Spuck, avec en particulier des pans entiers qu’on semble avoir déjà vu dans ses chorégraphies précédentes : Spuck a par exemple une affinité pour faire danser autour, sur et sous des tables qui surprend la première fois, puis lasse à la troisième itération quand on la retrouve encore mais dans un requiem. C’est joli mais plat, sans originalité voire répétitif, bien exécuté mais d’un intérêt somme toute limité. A ceci, il faut ajouter que certains passages de la partition ne laissent pas de grandes possibilités : les danseurs sont bien là, mais il est clair qu’ils « meublent » par des pas sans intérêt aucun en attendant des segments plus dansants.

Pourtant, j’apprécie le talent de Spuck pour raconter des histoires et peindre des personnages par la danse, chose pour laquelle il a une intuition et un talent surnaturel, il peut pour son malheur (et le nôtre) être un chorégraphe très ennuyeux quand il ne fait pas avancer son histoire. Malheureusement, il n’y a ni histoire ni personnages dans ce Requiem, sa chorégraphie ayant simplement pour but de faire incarner les émotions liées à chaque air. Dans le pire des cas, cela suscite une certaine compassion pour le pauvre William Moore, contraint de danser la danse de Saint-Guy, de se rouler par terre frénétiquement, sans grâce aucune, pendant le Dies Irae. Mais en général, c’est du Spück dans ses mauvais moments le plus banal : c’est élégant, ce n’est pas vilain, mais cela suscite un ennui poli.

C’est un peu dommage de voir tant d’énergie et de talents (c’est effectivement une très grosse production) dépensés pour un résultat si terriblement tiède, un exercice de style dont on ne voit finalement pas réellement l’intérêt. C’est peut-être là le problème de ce Requiem : le transformer en ballet avait-il du sens ? Car jamais la danse ne semble vraiment bien s’associer à la musique de Verdi. Elle reste distincte, quand elle n’est pas une distraction. Cela rappelle un peu le concert du Nouvel an de la Musikverein de Vienne, et ses numéros de danse ampoulés accompagnant la retransmission télévisée. La chorégraphie de Spuck est plus élégante, plus élaborée, moins kitsch, mais tombe tout autant comme un cheveu sur la soupe, dont se dispenser n’aurait finalement pas été un grand mal. Finalement, je fais ici le même reproche à Christian Spuck que je lui faisais sur Der Sandmann : avoir mal choisi son sujet, avoir choisi un sujet qui ne se prêtait pas franchement à un ballet. Une erreur regrettable, tant Spuck peut faire merveille sur un sujet adapté, comme son Woyzeck.


L'ennui



Au final, on regarde et écoute de bons musiciens exécuter avec brio une belle partition, et de bons danseurs exécuter avec brio un ballet sans grand intérêt, car n’arrivant jamais à être complémentaire avec la musique. On passe donc une centaine de minutes dans cette douce léthargie qui caractérise les spectacles qui n’ont pas suffisamment de qualités pour qu’on se laisse franchement intéresser, sans avoir non plus de gros défauts. Entre contemplation de la liste de course pour le lendemain, et réflexions sur le casse-croûte à avaler en sortant, on en vient à penser à cette phrase de Shakespeare, qui semble bien résumer la lecture que donne Spuck de la messe des morts : « Mourir, dormir, rien de plus ». Dommage.


Swann


P.S.: Arte diffusera une captation de cette production le 18 décembre 2016 à 23h05. A bon entendeur si vous ne trouvez pas le sommeil le 18 !

P.P.S. : dimanche dernier, jour de la première de ce Requiem, décédait Marcel Gottlieb, dit Gotlib, auteur génial de nombreuses bande-dessinées, pilier de Pilote, fondateur de l’Echo des Savanes puis de Fluide Glacial, monument de la bande-dessinée franco-belge. Quel rapport entre Opernhaus VF d’une part, Pilote et Fluide Glacial d’autre part ? Absolument aucun, si ce n’est que Gotlib fut une de mes lectures favorites et une influence majeure, qu’on retrouve un peu j’espère dans le style d’Opernhaus VF. S’il nous regarde, j’espère qu’il s’est moins ennuyé que moi devant ce Requiem, et qu’au pire il a sorti son bloc pour y dessiner encore quelques coccinelles. Et comme l'Opernhaus ne met pas de bande-annonce en ligne, je mets une coccinelle.



P.P.S. : tiens, ils ont fini par publier la bande-annonce


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