Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand

dimanche 21 février 2016

Tchaïkovski - Le Lac des cygnes (Petipa / Ivanov / Ratmansky)

Ballet de Marius Petipa et Lev Ivanov - Reconstruction d'Alexei Ratmansky

Musique de Piotr Ilitch Tchaïkovski - Direction: Rossen Milanov

Opernhaus Zürich, 7 février 2016


Odette (Viktorina Kapitonova) et Siegfried (Alexander Jones) - Crédit photo : Carlos Quezada


En un mot: un ballet passé sa date de péremption

Après quelques belles nouvelles productions de danse contemporaine, le Ballet de l'Opernhaus nous proposait un petit retour dans le passé à l'occasion de ce Lac des cygnes, en se tournant vers la chorégraphie"historique" de Marius Petipa et Lev Ivanov, plus de 120 ans après la première.


Un peu d'histoire



Le Lac des cygnes trouve le succès à partir de 1895, avec la chorégraphie de Marius Petipa et Lev Ivanov au théâtre Mariinsky de Saint Petersburg, et depuis, de nombreux chorégraphes l'ont repris, divergeant avec le temps plus ou moins par rapport à la chorégraphie de départ. Alexei Ratmasnky, pour sa part, a cherché à se rapprocher le plus possible du ballet original de Petipa et Ivanov, via un travail documentaire et de recherche sans aucun doute fastidieux, afin de faire revivre le ballet classique par excellence dans son incarnation originale.

Pour l'anecdote, on notera que la chorégraphie de Petipa et Ivanov n'est pas la première chorégraphie du Lac des Cygnes : celle de Julius Reisinger fit un four spectaculaire à sa création et tomba complètement dans l'oubli, attristant fortement Tchaïkovski, qui mourut avant de voir sa partition connaître le succès.


Scènes de chasse en Bavière


Si au fil des années, les chorégraphes successifs du Lac des cygnes y parfois ajouté une dimension supplémentaire (lecture freudienne pour Noureev, parallèle avec Louis II de Bavière pour Neumeier, relecture du prince en homosexuel refoulé...), la version Petipa-Ivanov a la même charge narrative et la même dimension sociale ou politique que Blanche-Neige et les sept nains (un conte de Grimm injustement ignoré par le monde du ballet jusqu'à la production d'Angelin Preljocaj en 2008).

En bref, le jeune prince Siegfried fête son anniversaire, quand sa mère lui annonce qu'il devra se choisir une épouse à un bal organisé le lendemain soir. Adolescent rebelle, plutôt que de rester à se faire houspiller par sa mère, il décide d'aller dans la forêt avec quelques amis, probablement pour fumer quelques joints. La vue d'un vol de cygnes les fait changer d'avis et ils décident d'aller chasser au lac où les cygnes se sont posés (d'où le titre). Alors que Siegfried épaule son arbalète, il se rend compte que le cygne qu'il visait est une belle jeune fille, Odette, dont il tombe immédiatement et follement amoureux (et réciproquement). Les cygnes sont des jeunes filles à qui un vilain magicien a jeté un sort, et qui ne retrouvent apparence humaine qu'à la nuit tombée. Se marier à l'amour de sa vie est le seul moyen pour Odette de briser le sort.

Le lendemain, au bal, le vilain magicien fait danser sa fille, qui grâce à un autre sort a l'apparence exacte d'Odette. Charmé, Siegfried déclare son amour et annonce qu'il a trouvé celle qui sera son épouse, réalisant trop tard sa méprise. Odette, ayant perdu toute chance de rompre le maléfice, son amant s'étant promis à une autre, se suicide en se jetant dans le lac, Siegfried, désespéré, la suit, les amants meurent ensemble, le sortilège est rompu, le vilain magicien meurt, les cygnes redeviennent des jeunes filles, et font un dernier coucou à Odette et Siegfried qui s'élèvent au paradis.

La narration n'étant clairement pas le point central dans un ballet, je me contenterai de deux remarques brèves sur ce sujet. D'une, cela ne vole pas bien haut, nonobstant la fin tragique, cela a plus sa place dans un Disney que sur une scène de ballet, mais passons. De deux, c'est une histoire passablement embrouillée : femme-cygnes, sosies, apparitions, magicien, sortilèges au fonctionnement confus... Aussi bien cela serait compréhensible à l'écrit ou à l'oral, autant c'est extrêmement laborieux quand le seul moyen narratif est la pantomime. Une part conséquente du ballet est donc employée à faire de grands gestes pour essayer d'expliquer les différentes péripéties et subtilités, c'est dommage.


La querelle des anciens et des modernes



Mon amie G. se plaignait il y a quelques jours des tendances de certains chorégraphes contemporains selon elle peu scrupuleux à faire passer un secouement anarchique des membres pour de la danse (je paraphrase). Pour sur, ce soir, un autre spectacle nous attendait : classicisme pur & dur, tutus en tulle, costumes colorés et jolis décors peints.

Il est vrai que le retour au passé est un thème porteur ces temps-ci : on aime à faire miroiter les charmes d'un âge d'or mythifié, à faire rêver de revenir tous ensemble (mais plutôt sans tous les autres) à un hypothétique glorieux passé. Mais comment était-ce, avant ? Était-ce mieux ?

Pour ce qui est de la Belle époque, c'était assez clairement moins bien : on y mourrait à 50 ans, il y avait du crottin de cheval partout dans les rues, et bien évidemment pas de blogs. Mais qu'en était-il du ballet, à l'heure de la première du Lac des cygnes par Petipa et Ivanov, à l'époque où Edgar Degas peignait les danseuses du ballet de l'opéra Garnier, encore tout récent ? Était-ce mieux avant ?

En orchestrant son voyages dans le temps pour retourner aux sources pures du ballet classique traditionnel, avec une troupe que l'on a vu auparavant interpréter Forsythe, Kilian, Balanchine, Alexei Ratmansky nous fournis les éléments pour répondre à cette question de manière raisonnée et documentée. Non, ce n'était pas mieux avant, dieu merci pour la pénicilline, Internet et Maurice Béjart !

Car on se retrouve très attristé d'assister à la représentation, en réalisant que les efforts et la qualité du travail des danseurs, irréprochables, ne parviennent pas à nous tirer d'un ennui et d'une indifférence polis.

C'est tout de même un peu tarte... Crédit photo : Carlos Quezada


Les décors (Jérôme Kaplan, aussi en charge des costumes) sont trognon tout plein (de belles toiles peintes, dans un style néo-classique un peu naïf), mais inutiles, les costumes sont chamarrés, mais tout cela n'est qu'un habillage autour du ballet, un cadre au milieu duquel les danseurs se meuvent. "Cadre" est ici à prendre au sens propre, les décors et les costumes, aussi mignons qu'ils soient, ont finalement aussi peu d'impact que le cadre autour d'un Rembrandt. On s'est habitué, chez les chorégraphes contemporains, a un travail qui intègre les lumières et les décors au ballet lui-même (Gods and Dogs de Jiri Kilian en est un très bon exemple). Ce n'est pas le cas dans la reconstruction de Ratmansky, et la richesse des costumes et des décors façon Sisi impératrice surcharge finalement plus qu'elle n'aide le ballet.

Côté musique, la partition est plaisante, chacun l'appréciant plus ou moins selon son propre goût, même s'il ne s'agit sans doute pas d'une des plus grandes partitions de son temps, et possède néanmoins une certaine finesse. La partition est jouée avec sans doute un peu trop d'entrain par la Philharmonie de Zürich et Rossen Milanov, la finesse évoquée en faisant un peu les frais.

Sur la danse en elle-même, on est d'abord surpris : sur nos critères modernes, la chorégraphie semble faire preuve d'un total manque d'ambition artistique. On s'est habitué au ballet comme la création d'une esthétique du mouvement, or ici on cherche en vain les traces d'une recherche esthétique : on est témoin d'un enchaînement de pas, choisis dans une palette restreinte, où le seul critère est finalement la qualité et la précision plutôt que la beauté de l'ensemble qui résulte de l'enchaînement. Un exemple typique est la danse des petits cygnes, où quatre ballerines enchaînent pliés, dégagés, échappés, mécaniquement, les uns à la suite des autres. Certes, la précision des mouvements, le synchronisme des ballerines est remarquable, le fruit d'une masse inimaginable de travail. Mais quel ennui ! Finalement, on a plus l'impression d'assister à un concours de natation synchronisée, ou à du patinage, que mémé nous forçait à regarder avec elle les dimanches, qu'à une représentation artistique. Ne manquent que les juges pour donner les notes : 0.375 points pour chaque fouetté de suite. Un tel ballet est sans doute une très bonne école, puisqu'en axant tout sur l'excellence de chaque mouvement, il ne tolère aucune approximation. Performance, oui, mais artistique, à mes yeux non.

De fait, un seul segment du ballet m'a vraiment plu, à savoir la partie du deuxième acte où apparaissent les cygnes. Dans ce segment, le décor est dans l'ombre pour symboliser la nuit, les danseuses portent un costume simple (tutu et bustier blanc, sans artifices), et il y une véritable beauté qui se dégage des mouvements et évolutions du corps du ballet. Moment hélas trop court !

Vision du passé


On pourrait se contenter d'une analyse technique de cette production : de bons danseurs, de moins bon musiciens, une chorégraphie ennuyeuse.

Mais finalement, il faut accepter cette chorégraphie pour ce qu'elle est : l'incarnation d'une conception différente du ballet, dominante il y a un siècle, mais qui a depuis du faire place à de nouvelles approches qui s'en sont plus ou moins éloignés. Mais que cette vision m'a semblé  ennuyeuse et bourgeoise ! Un cadre et une histoire de dessin animé Disney, et une chorégraphie purement technique sans ambition esthétique, sans message, sans prise de risque. La garantie que ce ne sera pas palpitant, mais que ce sera mignon. Il est triste de constater qu'il existe un public pour maintenir ce genre de ballet vivant.

Là où certains opposent ballet contemporain à ballet classique comme deux visions distinctes qui peuvent cohabiter, cette analyse tient à mes yeux du non-sens : il y a non seulement une filiation entre le ballet classique tel qu'incarné par Petipa et le ballet contemporain, mais il y a aussi une notion de progrès, au fil du temps, une amélioration claire et notable : le développement d'une vision artistique plus large, plus globale sur la chorégraphie, une inventivité nouvelle. On voit les germes de ce modernisme dans le deuxième acte, qui délaisse le décorum et la pantomime et offre une vraie recherche esthétique. Le ballet moderne est ainsi supérieur au ballet classique, car il est le résultat d'un siècle de progrès.

La pertinence de la démarche de Ratmansky m'échappe donc un peu, si ce n'est pour la curiosité historique, la chorégraphie de Petipa et Ivanov est tout simplement datée. Mais pour qui aime les beaux décors, les beaux costumes, et ne veut pas prendre de risques, pourquoi pas.

Dire que j'ai gâché une soirée de ma vie, que je me suis ennuyé à mourir, pour un ballet qui ne me plaisait pas, qui n'était pas mon genre, pensais-je à part moi en quittant Odette et ce Lac des cygnes.


Swann




mercredi 10 février 2016

Haitink / Gardiner / Blomstedt

Johannes Brahms - Un requiem allemand - direction : Bernard Haitink

Wolfgang Amadeus Mozart - Symphonie n°39 en mi bémol majeur & Messe en ut majeur - direction : Sir John Eliot Gardiner

Grieg / Lidholm / Dvorak - "Hoher Norden - Neue Welt" - direction : Herbert Blomstedt

Tonhalle Zürich, janvier 2016


Mon abonnement à l'Opernhaus ayant hiberné tout le mois de janvier, je me suis contenté de bonne grâce du programme de la Tonhalle pour trois concerts où Lionel Briguier laissait son orchestre dans les mains de trois prestigieux aînés, trois grands maîtres du vingtième siècle, pour un programme qui me rappelait quelques souvenirs de ma jeunesse enfuie.


Brahms - Un requiem allemand



Si les requiems sont l'accompagnement des messes aux défunts dans la tradition catholique, ils ne sont pas pour autant des oeuvres de pleurs et de lamentations. Ils ont à charge d'apporter une compassion, un réconfort, autant qu'ils doivent faire entrevoir une espérance, faire accepter la mort comme un passage vers quelque chose de plus grand.

D'une certaine manière, on peut diviser les requiems en deux catégorie. Les requiems "publics" et les requiems "intimes". Les requiems publics se veulent une affirmation, une profession de foi inébranlable faite au monde face à la mort. Mozart, Verdi en constituent deux bons représentants. Les requiems intimes, comme le requiem de Fauré ou le trop peu connu requiem de Maurice Duruflé, ne sont pas une déclaration au monde mais un message porté aux familles, aux amis, aux proches. Requiem démonstratif, qui proclame la foi dans un salut éternel et présente une vision grandiose de l'autre monde, contre requiem empathique et intime, qui console et "rationalise".

En regard, le requiem de Brahms résiste à cette dichotomie et trace un chemin peu usité, en liant la compassion d'un requiem intime et la puissance d'évocation d'un requiem public. La partition est superbe, passant de la tristesse au grandiose, de la compassion au solennel sans rupture, dans un équilibre parfait entre choeur, orchestre et solistes. L'orchestre de la Tonhalle est à son meilleur, et le choeur de la Zürcher Sing-Akademie a la délicatesse nécessaire pour les parties les plus pianos, et l'envergure suffisante pour les segments plus enlevés. La direction de Bernard Haitink est quant à elle magnifique, avec une finesse et un contrôle de la très large formation qu'on ne s'imaginerait pas possible : Haitink parvient dans les moments de recueillement de la partition à faire sonner ses quelques 150 instrumentistes et choristes comme un orchestre de chambre, et à passer à l'ampleur des forte, puis revenir aux pianos avec une fluidité et une harmonie surnaturelle. Les solos sont quant à eux bien très bien chantés par la soprane Camilla Tilling et le baryton Christian Gerhaher, que l'on avait aimé dans le rôle-titre de Wozzeck et que l'on retrouvait avec plaisir dans un cadre plus agréable que le décor et la mise en scène de l'Opernhaus.

La singularité d'Un requiem allemand se trouve aussi dans le fait qu'il ne s'agit pas d'une messe de requiem : la messe de requiem est une messe de la liturgie catholique, Brahms, de tradition luthérienne, n'a donc pas écrit une messe, mais une variation libre, d'où l'usage de l'article indéfini dans son titre. Ainsi, Brahms n'a pas repris le texte lithurgique catholique en latin, mais lui a substitué un texte tiré par lui des Ecritures, en allemand. Une différence importante, puisqu'au lieu de la psalmodie d'un texte liturgique en latin, dont le sens échappe aux fidèles, le texte de Brahms s'adresse directement au fidèle, dans une langue qui lui est intelligible. Cet aspect est particulièrement sensible dans les solos, surtout dans les interventions de Christian Gerhaher, qui rend par example vibrant ce monologue d'une homme qui doute, effrayé par son destin, qui en appelle à Dieu, et qui entre deux élans lyriques semble presque plus nous parler directement que chanter une quelconque partition. Gerhaher est excellent.

C'est la grandeur de cette oeuvre, et c'est la grandeur de la direction de Bernard Haitink : une oeuvre qui semble parler directement au fidèle, à la personne en deuil, au spectateur, à l'humain finalement, qui compatit à sa tristesse et à son incompréhension devant la brièveté et l'injustice de l'existence ("Seigneur, que dois-je attendre ?"), qui la console ("Béni soit leur chagrin : qu'ils en soient soulagés"), mais qui soudain peut faire surgir une espérance lumineuse, une vision monumentale du monde qui vient, peut-être, après.


Mozart - Symphone n°39 & Messe en ut



Le deuxième concert était consacré à Mozart, sous la direction de Sir John Eliot Gardiner, avec son orchestre, les English Baroque Soloists et son choeur, le choeur Monteverdi. Une distribution de grande qualité à n'en pas douter. J'avais pourtant beaucoup aimé le choeur de la Zürcher Sing-Akademie la veille dans Brahms, mais force est de constater que le choeur Monteverdi opère à un tout autre niveau : la qualité et la beauté des voix, lumineuses chez les sopranes et altos en particulier, en font indéniablement l'un des meilleurs choeurs en activité. La direction de Gardiner, nette, précise, enlevée, était de même très bonne. Et pourtant... Pourtant je suis sorti un peu déçu de ce concert. Pas par l'interprétation, mais par le choix des oeuvres : j'ai le sentiment que l'on n'apprécie pas la qualité du choeur Monteverdi dans la messe en ut, que l'oeuvre est trop facile pour que son talent soit vraiment visible, ou tout du moins qu'elle ne permet pas à des interprètes aussi bons de se distinguer de ceux qui le sont moins.

La messe en ut comme le requiem de Brahms sont deux oeuvres que, dans une autre vie, j'ai chantées dans un choeur d'amateurs. La messe en ut est souvent chantée par les choeurs d'amateur, car c'est justement une oeuvre facile dans laquelle même des amateurs peuvent parvenir à un résultat honnête, quand le requiem demande beaucoup plus de travail pour parvenir à un résultat honorable, les efforts pour être vraiment bon étant en dehors de portée de la plupart des formations amateurs.

Loin de moi l'idée de soutenir que le choeur de ma jeunesse chantait la messe en ut aussi bien que le choeur Monteverdi : comme je l'ai dit, à quelques moments, il était très clair que le choeur Monteverdi surclassait de beaucoup le choeur de la Sing-Akademie, et tous les choeurs amateurs d'Europe. Mais ces moments d'évidence étaient bien trop brefs, et pour le reste, la Sing-Akademie aurait pu délivrer une prestation tout aussi belle, à mon avis.

Le même reproche peut être fait à la symphonie, qui là encore, ne permet pas vraiment à l'orchestre de se démarquer. Un choix d'oeuvre qui ne permet pas aux interprètes de briller, ou peut-être une direction qui ne rend pas assez ses talents aussi visibles qu'ils pourraient et devraient l'être...


Hoher Norden - Neue Welt



Doyen de ces trois chefs d'orchestre, Herbert Blomstedt était pourtant le plus énergique des trois, tant physiquement, semblant avoir 20 ans de moins que ses 88 ans, que dans sa direction. Si la bonne santé de M. Blomstedt ne peut que nous réjouir et forcer notre respect, sur le plan de la direction musicale, il aurait pu être intéressant d'être plus dans la retenue, moins dans le petit lapin Duracell.

Curieuse impression que celle laissée par Blomstedt. Il semble se comporter comme un chef farceur, dont la direction et les choix semblent moins vouloir développer une vision des oeuvres que taquiner le public. Dans la première suite de Peer Gynt de Grieg, comme dans la Symphonie du nouveau monde de Dvorak, il semble étouffer, dans chaque phrase, quelques notes, un motif, changer l'équilibre de l'orchestre, ce qui donne l'impression déconcertante d'amputer des oeuvres que l'on connaît et apprécie. Son choix du deuxième morceau, Poesis d'Ingvar Lidholm, semble être un pied de nez au public (plutôt âgé et conservateur) de la Tonhalle, avec une oeuvre expérimentant sur la dissonance (moment visuellement impressionant où tous les violons jouent différemment, les archets évoluant de manière anarchique. Moins impressionant musicalement toutefois), et sur la multitude de sons qu'on peut produire avec un piano sans utiliser le clavier : Gilles Grimaître y joue très bien des coudes, du maillet, du pizzicato sur les cordes et du claquement de couvercle, entre autres, et son interprétation courageuse et athlétique mérite les honneurs. Par parties, c'est amusant ou surprenant, mais en tant qu'oeuvre, ce n'est ni très cohérent ni très agréable, sentiment partagé par l'orchestre dont la quasi-totalité affichait une mine affligée tout du long. L'orchestre retrouvait des couleurs pour finir sur une Symphonie du nouveau monde un peu confuse.

Enfin, on notera la volonté notable de Blomstedt de battre le record de vitesse pour le dernier morceau de la suite n°1 de Peer Gynt, le bien connu Dans l'antre du roi de la montagne. Peer Gynt est une oeuvre que je connais bien, et ce segment particulièrement, puisque c'est par là que j'ai commencé à apprécier la musique classique orchestrale. J'ai beaucoup écouté l'antre du roi de la montagne, morceau que j'aime beaucoup, mais c'était la première fois que je l'entendais en concert. On peut se dire que Blomstedt souhaitait rendre hommage à M le Maudit, car "assassinat" est le terme le plus adapté à son interprétation. Joué tambour battant, très, trop rapide dès le début, le morceau et la progression qui l'accompagne sont complètement compressés. Dans la première partie, le son de balancement lent, inquiétant, sourd, des cordes est complètement étouffé par le tempo, et le final, hystérique, est à la limite de l'audible. Tout ce qui fait la beauté et la subtilité du morceau est raboté. On se retrouve avec quelque chose qui ressemble à une sonnerie de portable : le son est mauvais, mais on reconnait le morceau très connu. Blomstedt semble rire de sa plaisanterie. Moi non. Herbert Blomstedt, je ne vous remercie pas.


Attentes



Il est toujours amusant de voir combien nos attentes sont différentes quand nous allons entendre des morceaux que nous connaissons déjà. Cela peut-être exaltant (Brahms par Haitink, Elektra monté par Chéreau après la purge Kusej) comme cela peut être décevant (Blomstedt). Le plus frustrant néanmoins, et d'être déçu sans ne rien trouver à reprocher aux interprètes, comme c'est le cas pour Gardiner. Sentiment que je devais retrouver quelques semaines après à l'Opernhaus.