Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand

jeudi 22 décembre 2016

Joyeuses fêtes !

La Vie parisienne (1866) - Opéra-bouffe en quatre actes de Jacques Offenbach, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy

Direction : Sébastien Rouland - Mise en scène : Laurent Pelly

Le baron de Gondremark : Laurent Naouri

Opéra national de Lyon - 2007





Sans vouloir pousser le lecteur à de quelconques excès, je souhaite néanmoins saisir l'occasion de souhaiter sur ce média de bonnes fêtes, un joyeux Noël et une bonne année aux Internautes qui passeront par là. Puissent la musique festive d'Offenbach, et les bonnes résolutions du baron de Gondremark instiller une humeur festive dans vos chaumières.

Bonnes fêtes,


Swann (qui, justement, est à Paris)

mercredi 14 décembre 2016

Stravinsky - Petruschka / Sacre

Petrouchka (1911) & le Sacre du Printemps (1913)

Musique d’Igor Stravinski

Chorégraphies de Marco Goecke & Edward Clug

Direction : Domingo Hindoyan

Philharmonie de Zürich


En un mot: un peu trop sombre mais intéressant


Le Ballet de Zürich nous proposait pour sa première production de l’année deux chorégraphies modernes sur des ballets classique de Stravinski, Petrouchka et le Sacre du Printemps, les deux chorégraphes proposant chacun des lectures plutôt sombres des œuvres en question.

La Philharmonie de Zürich était dirigée pour les deux ballets par Domingo Hindoyan, et l’interprétation était appliquée et de bonne facture, sans doute la meilleure interprétation d’une partition de ballet que j’ai entendue jusqu’à présent à Zürich, qui est souvent hélas le parent pauvre dans les ballets. 


Petrouchka



Petrouchka (William Moore) - Crédit photo : Gregory Batardon



Petrouchka ouvrait la danse (jeu de mot, c’est la rentrée), avec William Moore dans le rôle-titre, accompagné dans les deux autres rôles d’automates de Katja Wünsche et Tigran Mkrtchyan, dans une chorégraphie de Marco Goecke. L’argument du ballet s’intéresse à trois poupées de bois, Petrouchka, la Ballerine et le Maure, rendues vivantes par un mage (Christopher Parker). Petrouchka est amoureux de la Ballerine, qui lui préfère le Maure. Petrouchka, poussé par le chagrin, provoque et se bat avec le Maure qui, plus fort que lui, le tue.

L’argument du ballet d’origine, crée par les Ballets russes à Paris en 1911, avec une chorégraphie de Michel Fokine, est typique des ballets de l’époque, avec décors, costumes, grandes fêtes de village... Marco Goecke s’est débarassé de tout ce folklore pour faire quelque chose de beaucoup plus sobre sur le sujet. On joue quasiment sans décor devant un rideau noir, les costumes sont simples. Goecke pousse sans doute un peu trop loin l’épure : l’argument est assez mal présenté, c’est assez morne et les mouvements du corps de ballet ne présentent que peu d’intérêt. Il y a quelques passages intéressants, particulièrement la scène de séduction, le pas de deux entre la Ballerine et le Maure, très élégamment composé. Les danseurs étaient irréprochables, mais on semblait percevoir que le chorégraphe n’employait pas tous leurs talents, qu’ils étaient capables de plus, de mieux, si la chorégraphie leur avait laissé cette chance.
J’ai préféré Petrouchka à, par exemple, la reconstruction de la chorégraphie originale de Marius Petipa du Lac des Cygnes par Alexei Ratmansky : se débarrasser du carcan à la Disney (costumes et décors façon Cendrillon) et profiter de 100 ans de développement artistique de l’art chorégraphique ouvrent de grandes possibilités créatives, dont profite Marco Goecke. Sa chorégraphie n’est pas mauvaise, loin de là, je la trouve simplement passablement morne, et un peu ennuyeuse.


Le Sacre du Printemps


Guilia Tonelli, danseurs du Ballet de Zürich - Crédit photo : Gregory Batardon



Pour Edward Clug, le Sacre du Printemps n’a rien d’une célébration païenne et joyeuse du printemps, malgré un petit sacrifice humain de rigueur. Dès le début, l’ambiance est tendue, inquiétante, il ne semble pas y avoir de véritable communion entre les danseurs jusqu’au moment très précoce où la future victime est mise à l’écart. A partir de ce moment, la troupe se ligue contre la victime désignée, que pourtant rien ne distingue des autres danseuses, la rejette hors du groupe puis la tourmente.

J’ai beaucoup plus apprécié cette chorégraphie, à mon sens plus inspirée et originale, que Petrouchka avant l’entracte. Les mouvements du corps de ballet sont très intéressants, comme ce passage au tout début où les danseurs, sur deux rangées, intervertissent un à un leurs positions, des déplacements et des échanges d’une fluidité confondante et  visuellement très intéressante. En elle-même, la chorégraphie est donc marquante avant même que Clug ne s’ouvre de nouvelles possibilités par l’introduction d’un élément physique qui transforme la scène : l’eau. A la moitié du ballet, de l’eau se déverse sur les danseurs en cercle, suffisamment pour recouvrir la scène. Cela permet de très intéressants mouvements au sol dans lesquels les danseurs lancent leur partenaire à travers la scène, glissant sur la mince couche d’eau d’un danseur à l’autre. Loin d’être anecdotique, Clug utilise les nouvelles possibilités de mouvements ainsi offertes pour poursuivre son récit. Il s’autorise aussi des figures et des combinaisons remarquablement complexes entre les danseurs, qui glissent de position en position avec une précision millimétrique.
C’était donc un ballet très intéressant, rafraichissant, auquel on ne peut reprocher que sa grande noirceur, qui semble un peu artificielle, un peu forcée par rapport au sujet et à la musique.


Des vertus de l’aquaplaning appliqué au ballet



Ce sont donc deux ballets modernes intéressants qui nous sont proposé pour l’automne, l’un (le Sacre) certainement supérieur à l’autre, mais avec tous deux leurs mérites, et ce pour une soirée de danse contemporaine enrichissante à laquelle je vous recommande d’aller, si le cœur vous en dit.



Swann



Weber - Der Freischütz & Mozart - L'Enlèvement au sérail

Au printemps dernier, j’avais écrit sur ces pages pis que pendre d’Herbert Fritsch pour sa mise en scène abominable de King Arthur, c’était donc avec un certain effroi que je découvrais que le premier opéra de la saison, Der Freischütz, lui était confié. J’étais en revanche nettement plus enthousiaste pour L’enlèvement au sérail de Mozart, œuvre que j’avais à cœur de voir montée. Nonobstant mes récriminations, je décidais de continuer à jouer le jeu pour la saison 2016-2017 et de me reprendre un abonnement, d’aller vaillamment à tout, le bon comme le mauvais, ce que l’Opernhaus nous proposait de neuf cette saison. C’est l’avantage des abonnements, ils nous tirent des sentiers battus, nous poussent vers des œuvres vers lesquelles nous ne serions pas allés de nous-même, et nous réservent parfois des surprises.

Der Freischütz - Opéra en trois actes de Carl Maria von Weber, sur un livret de Johann Friedrich Kind (1821)

Direction : Marc Albrecht - Mise en scène : Herbert Fritsch

Opernhaus Zürich, 21 septembre 2016



Max (Christopher Ventris) - Crédit photo : Hans Jörg Michel


En un mot : un toilettage efficace


Der Freischütz est un opéra romantique de Carl Maria von Weber créé en 1821 à Berlin. On y raconte les aventures du pauvre Max, chasseur, qui doit réussir pour obtenir la main de son aimée un concours de tir. Craignant d’échouer, il se laisse convaincre par Kaspar de forger des balles magiques, ruse de Kaspar, qui a vendu son âme au diable Samiel, et qui compte sur ce tour pour livrer Max à Samiel. Tout finira bien, Max se marie à Agathe, Kaspar est tué par sa propre balle magique, l’ordre et l’harmonie sont rétablis dans la forêt. Soyons francs : on a fait mieux, comme livret. C’est de l’opérette pastorale chez les braves paysans, et tout cette histoire n’est pas bien intéressante.

Herbert Fritsch est du même avis, mais au lieu d’attaquer à la masse de démolition l’œuvre comme pour King Arthur, dans l’espoir que les gravas seront plus intéressants, il choisit fort heureusement une approche plus fine, plus subtilement subversive et finalement très efficace. Il colle au livret cette fois-ci, mais prend un peu de distance et ajoute une certaine ironie dans le traitement d’un texte sinon passablement niais et ennuyeux. Ainsi, le village des braves paysans ressemble à un village-jouet abstrait, avec de grandes formes géométriques figurant une maison, une église. Les costumes de Victoria Behr, assez jolis (un très grand progrès comparé au concours de laideur entre ses costumes pour King Arthur), sont de même des versions outrées, parodiques, des costumes de chaque personnage. Chacun des personnages, caricature vivante dans le livret (le vieux forestier, le brave chasseur, la frêle jeune fille, le bon prince…) sont gentiment tournés en ridicule par leur costume et leur jeu, sans pour autant dénaturer les personnages. Non, il s’agit juste de ne pas prendre le livret avec trop de gravité ou de sérieux, il ne le mérite pas vraiment. Aussi, Fritsch fait du démon Samiel (Florian Anderer), qui n’apparait théoriquement que très rarement, un ressort comique : tout le temps sur scène mais invisible aux personnages, c’est un grand personnage souriant avec une barbe à la Méphistophélès habillé d’un juste-au-corps, d’une cape et d’un chapeau rouge vif, doté d’une queue fourchue qui traîne par terre derrière lui, qui se balade, grimpe sur le décor et fait le pitre, en attendant que le malheur s’abatte sur les personnages. Dans un opéra sérieux, ça ne marcherait pas, mais voir Samiel tenter de libérer sa queue, pendant un chœur un peu longuet, du personnage qui a mis le pied dessus, est assez jubilatoire et offre une respiration bienvenue. Le succès de cet effet doit beaucoup au talent de mime et pour l’humour visuel de Florian Anderer, très drôle. La mise en scène n’est pas géniale pour autant, certes, et on peut douter de la capacité de Fritsch à monter des œuvres plus sérieuses et de plus grande envergure s’il leur applique la même recette, mais elle demeure tout à fait plaisante : il a su faire preuve à raison de plus de retenue, sa mise en scène est moins invasive et nettement mieux dosée,  on peut juste se plaindre qu’il en fasse encore un poil trop. Samiel est ainsi un peu trop employé, et distrait à quelques moments par ses élucubrations de la musique, pourtant très agréable.
Musicalement, je me suis découvert un grand amour pour la partition de Weber, une très élégante synthèse entre Mozart et Beethoven, très bien dirigée par Marc Albrecht, et servie par une très bonne distribution, Christopher Ventris en tête dans le rôle de Max. C’était donc, pour moi une très bonne surprise ce soir-là.




L'Enlèvement au sérail - Singspiel en trois actes de Wolfgang Amadeus Mozart, sur un livret de Gottlieb Stefanie (1782)

Direction : Maxim Emelyanychev - Mise en scène : David Hermann

Opernhaus Zürich, 11 novembre 2016


Konstanze (Olga Peretyatko) & Bassa Selim (Sam Louwyck) - Crédit photo : T + T Fotografie / Tanja Dorendorf

En un mot : une perte de temps


En revanche, j’ai renoué avec mes vieilles habitudes dès la deuxième production de l’année, en partant à l’entracte de l’Enlèvement au sérail de Mozart, dans une mise en scène indigente de David Hermann, et sous la direction contestable de Maxim Emelyanychev.


Musicalement, on est devant ce que j’ai baptisé en mon for intérieur « l’effet cassette », en souvenir du son grésillant et sans ampleur du magnétophone sur lequel tournais sempiternellement la même cassette fatiguée de concerto de Mozart pendant les vacances. Concrètement, cela donne une direction molle, sans dynamique, aux attaques imprécises, l'orchestre La Scintilla brillant par son absence de relief et de netteté : autant s’écouter un bon enregistrement sur CD à la maison. Ni Pavol Breslik en Belmonte, ni Olga Peretyatko en Constanze, ni le reste de la distribution ne sont à jeter aux orties, mais aucun ne convainc.

Côté mise en scène, David Hermann n’a aucune idée de mise en scène proprement utile, rien ne vient réellement porter l’intrigue, ses seuls apports sont des gadgets qui n’apportent rien (les janissaires remplacés par des femmes en tchador) ou nuisent à la mécanique dramatique (une scène dans un restaurant où les convives se plaignent du bruit que font les solistes, des changements de décor en veux-tu en voilà à n’y plus rien comprendre). La seule idée potentiellement intéressante consistait à apparier les personnages en paire maître-serviteur, et en habillant et maquillant les interprètes de chaque paire de manière semblable. Un moyen intéressant de pointer la symétrie entre le monde des nobles et celui des serviteurs, que l’on retrouve presque toujours chez Mozart en particulier. Las, Hermann se contente juste de faire entrer et sortir les personnages de la scène au hasard, sans respect pour le livret. On a l’impression qu’Hermann ne sait pas vraiment mettre en scène (de fait, il y a très peu de jeu de la part des personnages « actifs » dans chaque scène), et se contente de noyer le poisson dans des artifices sans intérêt et qui rendent l’œuvre illisible.

A endurer une interprétation médiocre dans une mise en scène lourde et sans intérêt, j’ai donc décidé qu’il y avait meilleur usage à faire de mon temps qu’en endurer 90 minutes de plus.




Swann




dimanche 11 décembre 2016

Verdi - Requiem

Ballet de Christian Spuck

Direction : Fabio Luisi

Opernhaus Zürich, 6 décembre 2016



Crédit photo : Gregory Batardon



En un mot: le grand sommeil


J’ai connu une enfance heureuse dans une famille harmonieuse, entourés de parents aimants. Quel rapport avec Christian Spuck et Verdi ? Absolument aucun, si ce n’est que le Requiem de Verdi a toujours été l’un des rares sujet de discorde, je sais donc à quel point ce peut-être une œuvre clivante. Néanmoins, concernant la grande production de l’année de l’Opernhaus et de son directeur du Ballet, Christian Spuck, les avis n’étaient pas clivés du tout, le dithyrambe étant le mot d’ordre général dans la presse et les standings ovations staliniennes la norme pour sa centaine d’interprètes sur scène. Trouvant cet unanimisme suspect, j’ai enfilé mes jolis souliers cirés et suis allé mener l’enquête.


Une messe des morts



La Messa de requiem de Guiseppe Verdi fut créée en 1874, pour l’anniversaire de la mort du poète Alessandro Manzoni, intellectuel engagé comme Verdi pour l’unification italienne. Elle a pour base un Libera me composé par Verdi quelques années auparavant pour une messe à la mémoire de Rossini commandée à plusieurs compositeurs italiens. Si le séquençage reste extrêmement proche de la liturgie catholique, le Requiem de Verdi reste très proche sur le style de ses opéras. L’interprétation requiert une quantité non-négligeable de main-d’œuvre puisque l’œuvre fait appel à un orchestre symphonique, quatre solistes, ainsi qu’à un double chœur.

C’est donc un grand navire que Fabio Luisi, à la direction d’orchestre, devait faire naviguer sur les flots tumultueux de l’Achéron. Devant les grands contrastes entre passages forts, violents, fougueux (le Dies Irae vient immédiatement à l’esprit) et moments de méditation et d’inquiétude sourde (comme les premières notes de l’Introït), il n’est pas chose facile de faire manœuvrer un si grand nombre d’interprètes avec la finesse nécessaire. L’interprétation de Fabio Luisi est à cet égard très bonne, très mesurée, ne cédant pas aux sirènes du fortissimo criard, tout en menant les chœurs et l’orchestre avec délicatesse et fermeté dans les passages plus délicats. Il est regrettable que les chœurs ne se montrent pas toujours au niveau de leur chef d’orchestre : il est difficile de ne pas jeter la pierre à ce niveau quand les chœurs se retrouvent en retard d’un petit demi-temps sur le premier Dies Irae pour une douzaine de mesures, ou se fourvoient à chanter pour quelques instants non pas Verdi, mais ce que le chef de chœur de ma chorale d’amateur appelait « du yaourt ». Selon la page Facebook de l’Opernhaus, tous les interprètes n’ont été réunis que tardivement et ont peu répété tous ensemble, ce qui peut sans doute expliquer ces regrettables soucis de réglage. En ce qui concerne les solistes, Krassimira Stoyanova, Veronica Simeoni et Georg Zeppenfeld étaient très bons, Francesco Meli étant en revanche, malgré sa réputation dans le répertoire verdien, assez désagréable à entendre, particulièrement au début, touchant toutes ses notes mais sans aucune élégance.

Au-delà de la partition et de son interprétation, ce qui faisait la singularité de cette production était l’alliance de l’orchestre et des chœurs avec les danseuses et danseurs du Ballet de Zürich, dans une chorégraphie originale de Christian Spuck écrite pour et créée à l’Opernhaus. Cela constitue un premier défi de taille, à savoir la scénographie : comment gérer solistes, chœurs et danseurs en nombre sur une seule scène pour fournir un résultat consistant ? Sous cet angle, on ne peut qu’admirer les qualités techniques de la production : malgré les petits bémols suscités, l’interprétation est de bonne facture, les danseurs comme toujours excellents, le décor sans fioritures mais fonctionnel, la lumière bien gérée, et les différents interprètes se déplacent sur la scène avec ordre et rigueur sans confusion ni gêne, alors même que le plateau reste relativement petit.


Un artifice



Au-delà des qualités techniques, qu’en est-il de la valeur artistique ? On ne peut pas dire que les chorégraphies de Christian Spuck manquent d’élégance. Les séquences sont jolies et font intervenir un nombre étonnement élevé de danseurs pour un si petit espace, sans donner la moindre impression de confusion ou de tassement. Est-ce original ? Non. Cela n’apporte aucun élément nouveau, et cela ressemble fortement à du Christian Spuck, avec en particulier des pans entiers qu’on semble avoir déjà vu dans ses chorégraphies précédentes : Spuck a par exemple une affinité pour faire danser autour, sur et sous des tables qui surprend la première fois, puis lasse à la troisième itération quand on la retrouve encore mais dans un requiem. C’est joli mais plat, sans originalité voire répétitif, bien exécuté mais d’un intérêt somme toute limité. A ceci, il faut ajouter que certains passages de la partition ne laissent pas de grandes possibilités : les danseurs sont bien là, mais il est clair qu’ils « meublent » par des pas sans intérêt aucun en attendant des segments plus dansants.

Pourtant, j’apprécie le talent de Spuck pour raconter des histoires et peindre des personnages par la danse, chose pour laquelle il a une intuition et un talent surnaturel, il peut pour son malheur (et le nôtre) être un chorégraphe très ennuyeux quand il ne fait pas avancer son histoire. Malheureusement, il n’y a ni histoire ni personnages dans ce Requiem, sa chorégraphie ayant simplement pour but de faire incarner les émotions liées à chaque air. Dans le pire des cas, cela suscite une certaine compassion pour le pauvre William Moore, contraint de danser la danse de Saint-Guy, de se rouler par terre frénétiquement, sans grâce aucune, pendant le Dies Irae. Mais en général, c’est du Spück dans ses mauvais moments le plus banal : c’est élégant, ce n’est pas vilain, mais cela suscite un ennui poli.

C’est un peu dommage de voir tant d’énergie et de talents (c’est effectivement une très grosse production) dépensés pour un résultat si terriblement tiède, un exercice de style dont on ne voit finalement pas réellement l’intérêt. C’est peut-être là le problème de ce Requiem : le transformer en ballet avait-il du sens ? Car jamais la danse ne semble vraiment bien s’associer à la musique de Verdi. Elle reste distincte, quand elle n’est pas une distraction. Cela rappelle un peu le concert du Nouvel an de la Musikverein de Vienne, et ses numéros de danse ampoulés accompagnant la retransmission télévisée. La chorégraphie de Spuck est plus élégante, plus élaborée, moins kitsch, mais tombe tout autant comme un cheveu sur la soupe, dont se dispenser n’aurait finalement pas été un grand mal. Finalement, je fais ici le même reproche à Christian Spuck que je lui faisais sur Der Sandmann : avoir mal choisi son sujet, avoir choisi un sujet qui ne se prêtait pas franchement à un ballet. Une erreur regrettable, tant Spuck peut faire merveille sur un sujet adapté, comme son Woyzeck.


L'ennui



Au final, on regarde et écoute de bons musiciens exécuter avec brio une belle partition, et de bons danseurs exécuter avec brio un ballet sans grand intérêt, car n’arrivant jamais à être complémentaire avec la musique. On passe donc une centaine de minutes dans cette douce léthargie qui caractérise les spectacles qui n’ont pas suffisamment de qualités pour qu’on se laisse franchement intéresser, sans avoir non plus de gros défauts. Entre contemplation de la liste de course pour le lendemain, et réflexions sur le casse-croûte à avaler en sortant, on en vient à penser à cette phrase de Shakespeare, qui semble bien résumer la lecture que donne Spuck de la messe des morts : « Mourir, dormir, rien de plus ». Dommage.


Swann


P.S.: Arte diffusera une captation de cette production le 18 décembre 2016 à 23h05. A bon entendeur si vous ne trouvez pas le sommeil le 18 !

P.P.S. : dimanche dernier, jour de la première de ce Requiem, décédait Marcel Gottlieb, dit Gotlib, auteur génial de nombreuses bande-dessinées, pilier de Pilote, fondateur de l’Echo des Savanes puis de Fluide Glacial, monument de la bande-dessinée franco-belge. Quel rapport entre Opernhaus VF d’une part, Pilote et Fluide Glacial d’autre part ? Absolument aucun, si ce n’est que Gotlib fut une de mes lectures favorites et une influence majeure, qu’on retrouve un peu j’espère dans le style d’Opernhaus VF. S’il nous regarde, j’espère qu’il s’est moins ennuyé que moi devant ce Requiem, et qu’au pire il a sorti son bloc pour y dessiner encore quelques coccinelles. Et comme l'Opernhaus ne met pas de bande-annonce en ligne, je mets une coccinelle.



P.P.S. : tiens, ils ont fini par publier la bande-annonce


dimanche 18 septembre 2016

Que faut-il aller voir (ou non) à l'Opernhaus durant la saison 16/17 ?

L'Opernhaus fait sa rentrée, avec 40 ballets ou opéras au programme cette année, et bon nombre de concerts, il y aura donc beaucoup à voir cette saison à l'Opernhaus. Les nouvelles productions constituent un tiers du programme, les deux tiers restants étant des reprises des années précédentes. Du coup, il y a au programme quelques spectacles que nous avons vu l'an dernier, et dont nous avons parlé dans ces colonnes. Pour les spectacles en question, voici donc un petit guide subjectif de la saison qui commence.

Indispensable


Giacomo Puccini – La Bohème


Direction: Giampaolo Bisanti
Mise en scène: Ole Anders Tandberg

Bande-annonce

Pourquoi? Une mise en scène brillante, magistrale d'Ole Anders Tandberg. Tout s'agence merveilleusement bien, c'est selon les passages irrésistiblement drôle, merveilleusement romantique, terriblement émouvant, Une mise en scène géniale d'un grand opéra, comme on en voit rarement, peut-être le meilleur opéra que j'ai vu. Courrez prendre vos billets, on s'y croisera, car je compte bien y retourner ! En espérant que la nouvelle distribution soit aussi bonne que celle de la saison dernière..

Mimi (Guagun Yu) & Rodolfo (Michael Fabiano)
Crédi photo: Judith Schlosser 

Pourquoi pas?


Verdi - Macbeth


Direction: Gianandrea Noseda
Mise en scène: Barrie Kosky


Pourquoi? Un bon Macbeth, dans lequel Barrie Kosky proposait une lecture intéressante avec quelques bonnes idées de mise en scène, même si sa mise en scène restait dans l'ensemble un peu pauvre car se limitant à juste ces quelques idées.

Lady Macbeth (Tatiana Serjan) & Macbeth (Markus Brück)
Crédit photo: Monika Rittershaus - Opernhaus Zürich

Bof...


Bellini - I Puritani


Direction: Enrique Mazzola
Mise en scène: Andreas Homoki


Pourquoi? Une production quelconque, une mise en scène sans imagination. Sans être franchement mauvais, on ne peut pas dire que ça vaut le prix du billet. Et c'est assez ennuyeux.

Arturo (Lawrence Brownlee), Elvira (Pretty Yende) & Ricardo (George Petean)
Crédit photo: Judith Schlosser - Opernhaus Zürich

A éviter


Tchaïkovski - Le Lac des Cygnes (Schwanensee)


Chorégraphie: Petipa / Ivanov / Ratmansky
Direction: Rossen Milanov / Pavel Baleff


Pourquoi? Alexei Ratmansky reconstruit la chorégraphie fondatrice de Marius Petipa et Lev Ivanov, désormais vieille de 120 ans, et c'est, malgré de très bons danseurs, très ennuyeux. L'intérêt historique est certain, et on voit clairement à quel point l'art chorégraphique a su se moderniser pour le mieux. Performance paresseuse et pompier de l'orchestre. Allez plutôt voir autre chose, le Ballet de Zürich propose des choses autrement plus intéressantes.

Odette (Viktorina Kapitonova) & Siegfried (Alexander Jones)
Crédit photo: Carlos Quezada
Bonne saison !

Swann

lundi 1 août 2016

Rétrospective 2015-2016 / Cérémonie des Marcels

Marcel Proust, parrain de la cérémonie des Marcels à son insu


Si la pause estivale laisse le temps de faire la rétrospective de la saison écoulée, c’est aussi, du moins sur Opernhaus VF, la saison des prix, avec notre grande Cérémonie des Marcels 2016. Les Marcels d’Or et d’Argent couronnent le meilleur de ce que nous avons vu et dont j’ai fait la chronique sur ce blog au cours de la saison écoulée. Ils s’accompagnent aussi d’une distribution de bonnets d’âne, les Marcels de Plomb, invitations amicales aux récipiendaires à donner une nouvelle direction à leurs petites carrières. Le jury des Marcels se compose de votre serviteur Swann, d’une bonne théière de thé Mariage Frères (thé noir, du Yunnan impérial), et de l’ordinateur portable sur lequel j’écris ces lignes.

C'est la gloire !


Une année est un temps finalement assez long, pendant laquelle on a le temps de voir beaucoup et sans doute trop : 21 articles ont été posté sur ce blog au cours des douze derniers mois relatant concerts, ballets et opéras. Face à cette abondance relative, il semble nécessaire de revenir quelques peu sur nos pas. C’est l’objet des Marcels, distinguer ce qui valait franchement le coup d’être vu, et qui mérite notre attention et une prise de risque la prochaine fois que nous voyons son nom à l’affiche.

C’est la honte !


A l’inverse, pourquoi distinguer aussi le mauvais ? Il y a certes pour moi une dimension cathartique, mais ce n’est pas l’objet. S’il est évident que des sensibilités différentes existent, qu’un même spectacle peut plaire ou déplaire selon les personnes, il existe aussi pour moi des absolus, à savoir des spectacles ou des éléments de spectacles objectivement mauvais. Malheureusement, ce genre de choses n’est dénoncé que trop rarement par les pages culturelles de la presse, qui ne semble pas avoir le courage de se mettre quelques personnes à dos en écrivant noir sur blanc qu’une mise en scène est nulle. Ou bien, si c’est le cas, le journal concurrent dira l’exact opposé (les deux grands quotidiens zurichois se contredisent presque pour chaque opéra). Mon but est donc de pointer un index accusateur et vengeur sur l’objectivement nul et sur les faussaires qui profitent des idiosyncrasies de la presse, de sa parfois coupable indulgence, pour continuer à dégouter les spectateurs d’avoir une vie culturelle un peu plus ambitieuse que la première de Magic Mike XXL au Corso.

Concerts


Bernard Haitink

Marcel d’Or – Concert classique 


Solistes : Camilla Tilling et Christian Gerhaher
Chœur : Zürcher Sing-Akademie
Direction : Bernard HaitinkTonhalle-Orchester Zürich

Bernard Haitink livrait une interprétation magistrale du requiem de Brahms, et en faisait vraiment ce requiem humain souhaité par Brahms. Une grande émotion.


Lionel Bringuier
Crédit photo : Priska Ketterer

Marcel d’Argent – Concert classique


Erik Satie – Gymnopédies I & III, orchestration par Claude Debussy
Direction : Lionel BringuierTonhalle-Orchester Zürich

C’est une œuvre courte et d’une moins grande ampleur, mais la version pour orchestre des Gymnopédies d’Erik Satie, dirigée par Lionel Bringuier, est désormais l’un des plus beaux morceaux pour orchestre que je connaisse (la partition originale pour piano, interprétée par Aldo Ciccolini, étant l’un des plus beaux morceaux pour piano que je connaisse).

Marcel de Plomb – Concert classique


Direction : Herbert BlomstedtTonhalle-Orchester Zürich

Un grand chef qui massacre à la limite du reconnaissable Grieg et Dvorak, et entrecoupe d’un concert de dissonances et d’expérimentations lourdingues sur un pauvre piano qui n’avait rien demandé. Les musiciens non plus, et ils semblaient plus peinés que moi.

Marcel spécial


Kraftwerk - Computer Love (MoMa - New York) 
Kraftwerk – KKL Luzern


Stricto-sensu, ce n’est pas de la musique classique, même si leur recherche artistique et formelle se rapproche plus du classique que de la pop à mes yeux. Toujours est-il que les concerts de Kraftwerk sont une expérience audio-visuelle, artistique, fascinante et en constante évolution. Ruez-vous sur les billets de leurs rares concerts si l’occasion se présente.







Ballet


Marcel d’Or – Ballet


Alexander Jones & Katja Wünsche - Crédit photo : Gregory Batardon
Aria
Chorégraphie de Douglas Lee
Katja Wünsche et Alexander Jones
















&

Viktorina Kapitonova & Manuel Renard - Crédit photo : Gregory Batardon

In the middle, somewhat elevated
Chorégraphie de William Forsythe
Ballet Zürich














William Forsythe développe une grande maestria dans son exercice de déconstruction des codes du ballet. Douglas Lee, en utilisant les mêmes codes que Forsythe détourne, et en visant la simple recherche esthétique, parvient à un résultat plus simple mais tout aussi frappant, peut-être plus, et d’une très grande beauté.


Marcel d’Argent - Ballet

Jan Casier, Filipe Portugal & Manuel Renard
Crédit photo : Judith Schlosser

Chorégraphie de Christian Spuck
Ballet Zürich



Dommage que la première partie soit si ennuyeuse, la deuxième est d’une intensité et d’une qualité rare.









Marcel d’interprétation – Ballet


Anna Khamzina dans Der Sandmann - Crédit photo : Carlos Quezada
Katja Wünsche & Anna Khamzina

La prestation d’Anna Khamzina en Olimpia dans Der Sandmann méritait d’être distinguée, étant la seule à nous tirer de la lourde torpeur dans lequel Christian Spuck plonge le spectateur dans sa chorégraphie, par sa magnifique interprétation.

N’étant absolument physionomiste, je reconnais pourtant Katja Wünsche sur scène dès qu’elle danse : l’accompagne systématiquement sur scène une aura qu’elle est la seule à posséder. Une précision, une qualité d’exécution, une élégance du geste qui ne sont propres qu’à elle.







Marcel de Plomb – Ballet


Chorégraphie de Marius Petipa, Lev Evanov et Alexei Ratmansky
Ballet Zürich

Il a beau s’être joué à guichets fermés avec une reprise la saison prochaine, il n’en reste pas moins que le Lac des cygnes n’était pas bien intéressant. Non pas du fait de ses interprètes, tous très bons, mais simplement parce que la machine à remonter le temps d’Alexander Ratmansky ne présente qu’un intérêt limité, si ce n’est qu’en tant que curiosité historique ou que conservatoire des techniques… La danse a évolué en 150 ans, et pour le mieux. Si vous aimez la danse, il y a plus intéressant à voir. Ceci dit, ce n’est pas mauvais, juste très ennuyeux, ce qui finalement positif si c’est le pire que le Ballet de Zürich a à nous montrer.

Opéra


Marcel d’Or – Opéra

Marcel de la mise en scène

Marcel des décors

Marcel des costumes

Mimi (Guagun Yu) & Rodolfo (Michael Fabiano)
Crédit photo : Judith Schlosser 

Direction : Giampaolo Bisanti
Mise en scène : Ole Anders Tandberg
Décor : Erlend Birkeland
Costumes : Maria Geber

Il y a ces occasions trop rares où on ne trouve rien à critiquer. Musicalement, sur les interprètes ou sur la mise en scène. Une mise en scène inspirée, originale, enlevée, géniale. Et sur les aspects techniques, enfin ! Un décor complexe, riche, beau, sans scène qui tourne comme un manège ou plancher incliné sans raison. Il en va de même pour les costumes, beaux et très justes, qui participent avec le travail sur le décor du succès de cette production, qui est rentrée immédiatement dans mon panthéon personnel à côté de la mise en scène de Don Giovanni par Michael Haneke à l’Opéra de Paris, il y une bonne dizaine d’années.













Marcel d’Argent – Opéra

Anne Ratte-Polle, Ivana Rusko, Scott Hendricks, Claire de Sévigné
Crédit photo : Tanja Dorendorf 

Direction : Gabriel Feltz
Mise en scène : Sebastian Baumgarten












&

Ruben Drole & Deanna Breiwick
Crédit photo : Hans Jörg Michel

Direction : Fabio Luisi
Mise en scène : Tatjana Gürbaca


















Die Hamletmaschine était la prise de risque du programme 2015-2016, l’accueil publique fut hélas mitigé. Dommage pour une œuvre intéressante et exigeante, intelligemment mise en scène et en musique.
La reprise de la mise en scène de la Flûte enchantée par Tatjana Gübarca, dont j’avais apprécié l’Aïda la saison passée, était une soirée très plaisante : bien interprétée et dirigée, avec une mise en scène qui dynamisait un livret plutôt connu pour ses longueurs. Dommage pour la pauvreté des décors et des costumes.

Marcel d’interprétation – Opéra

Evelyn Herlitzius - Photo Opernhaus Zürich

Evelyn Herlitzius (Elektra dans Elektra de Richard Strauss)

Dans ce qui est sinon un naufrage, Evelyn Herlitzius semble léviter au-dessus de la scène (sauf au début, où le metteur en scène la fait ramper) et livre une démonstration magistrale dans l’un des rôles les plus exigeants du répertoire lyrique.













Marcel de la direction musicale - Opéra

Fabio Luisi - Crédit photo : Monika Ritterhaus

Fabio Luisi (la Flûte enchantée)

Une direction musicale inspirée de la partition de Mozart par le directeur musical de l’Opernhaus.











Marcel de Plomb – Opéra


Direction : Daniele Rustioni
Mise en scène : Christoph Marthaler

Mise en scène débile et contente d’elle, interprètes aux fraises, chef d’orchestre parti cueillir les champignons, orchestre à la ramasse. Rien à sauver.

Petit Marcel de Plomb – Opéra


Direction : Lothar Koenigs
Mise en scène : Martin Kusej

Sauvé par Evelyn Herlitzius, le seul mérite de Martin Kusej étant de la laisser faire son travail en paix, pendant qu’il fait absolument tout et n’importe quoi derrière elle. A l’exception d’elle et de Michael Laurenz, le reste de la distribution oscille entre le médiocre et le consternant.

Marcel de Plomb de la mise en scène


Direction : Laurence Cummings
Mise en scène : Herbert Fritsch

« Oh, c’est dommage que vous soyez parti avant l’entracte pour King Arthur. »
- Je n'en pouvais vraiment plus et c'était sans espoir.
- Oh, mais vous savez, c’était mieux après l’entracte !
- ça ne pouvait pas vraiment être pire, non ?
L’ouvreuse a préféré ne pas répondre à cette dernière question.

Marcel de Plomb du décor


Michael Levine (Wozzeck) & Henrik Ahr (I Puritani)

Les décors les plus inintéressants de la saison sont ceux des deux mises en scène d’Andreas Homoki. On y trouve des similitudes frappantes : c’est laid, fade, pauvre, ça bouge mais ça n’apporte rien si ce n’est compliquer la vie des interprètes. Soyons indulgents avec les décorateurs, l’idée de départ doit venir du metteur en scène pour les deux décors. Mention spéciale pour les 4 grands cadres jaunes de Wozzeck. Au moins, ça n’a pas dû couter cher.

Marcel de Plomb du costume


Victoria Behr (King Arthur)

Les costumes de Victoria Behr pour King Arthur sont une violente agression visuelle. A sa décharge, les costumes sont assez dans le ton du dégueulis de mise en scène d’Herbert Fritsch, la laideur et les couleurs criardes sont, espérons, intentionnelles.



A la saison prochaine,



Swann