Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand

jeudi 17 septembre 2015

Berg - Wozzeck

Opéra en 3 actes d'Alban Berg, d'après Woyzeck de Georg Büchner

Direction: Fabio Luisi - Mise en scène: Andreas Homoki

Opernhaus Zürich, 16 septembre 2015




L'Opernhaus décide de rouvrir ses portes pour cette saison avec une appètance certaine pour les opéras en langue allemande du début du vingtième siècle, la reprise d'Elektra, pour lequel je vous conseille fortement de lire ma critique avant de faire un geste inconsidéré (comme acheter un billet), ainsi que Wozzeck, notre sujet pour cet article.

Alban Berg, pour son premier opéra, s'est basé sur une pièce laissée inachevée par Georg Büchner à sa mort, dont Berg a extrait 15 scènes. Inspiré d'un fait divers survenu en 1821, l'opéra suit les malheurs du malheureux soldat Wozzeck: pauvre, houspillé par son capitaine, Wozzeck sombre lentement dans la folie sous l'effet des expériences du docteur, qui l'utilise comme cobaye, pendant que sa maîtresse le trompe avec le tambour-major. A bout, Wozzeck la poignarde, et se noie en tentant de cacher l'arme du crime au fond d'un lac. Un livret tragique, sombre, dans lequel les traits des personnages qui entourent Wozzeck sont exagérés, distillés jusqu'au grotesque.`

Considéré comme le premier opéra atonal, recourant fréquemment au parlé-chanté, Berg a aussi pris le pli de recourir pour chaque scène à une technique musicale distincte. Ainsi, tant par son livret éclaté que par ses choix musicaux avant-gardistes, Wozzeck est une œuvre très moderne, mais difficile d'accès.

La nouvelle production que l'Opernhaus nous propose est musicalement irréprochable. Dans le rôle titre, Christian Gerhaher livre une très belle prestation et parvient, malgré le peu de marges offertes par la mise en scène, à réellement faire vivre son Wozzeck. L'ensemble de la distribution ainsi que la philharmonie de Zürich se jouent quant à eux avec les honneurs de la partition. Pour les seconds rôles, notons la performance de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke dans le rôle du Capitaine (Hauptmann) qui du grotesque de son personnage fournit une interprétation tout à la fois drôle et touchante, en tourmenteur involontaire mais pourtant bien intentionné du pauvre Wozzeck.

La mise en scène par l'absurde


De toute évidence, Wozzeck est une ouvre délicate pour un metteur en scène. Comment monter 15 scènes plus ou moins indépendantes, s'enchainant en une seule heure et demi ? Quel décor bâtir ? Quels enchaînements ? Comment gérer trois formations orchestrales différentes sur scène ? Andreas Homoki apporte une réponse relativement simple, simpliste peut-être, radicale, courageuse peut-être: ne pas mettre en scène.

Que faut-il entendre par "ne pas mettre en scène" ? Un minimalisme absolu. Pas de décor, toujours la même lumière ou presque. Peu, presque pas de jeu de scène pour les personnages. Pas de fanfare sur scène, ni aucun des autres groupes de musiciens prévus par le livret. Une économie d'effet poussée jusqu'à l'absurde.

Pour le décor donc, rien, ou si peu: les spectateurs ne voient la scène qu'à travers un large cadre, aux bords peints en jaune. Derrière ce premier cadre, 5 autres, de plus en plus étroits, s'échelonnent parallèlement au premier jusqu'au fond de la scène. Cela donne vaguement un air de théâtre de marionnettes à la scène, et la mise en scène sera entièrement basée sur cette vision des personnages entourant Wozzeck comme de grotesques marionnettes (via le maquillage, les costumes et les perruques).

Malheureusement, le décor pose un gros problème. En premier lieu, ce n'est pas très beau. Ensuite, cela ne donne aucun contexte sur l'action. Mais surtout, le décor limite considérablement les possibilités: les personnages sont coupés à mi-corps, et leurs seules options sont de se déplacer de gauche à droite entre les cadres, ou bien de les enjamber. Ce qui n'offre pas de grandes possibilités dramatiques.

Andreas Homoki a visiblement essayé de compenser par une débauche de figurants pour essayer d'apporter un peu de contexte et de variété sur scène, tout en gardant les thèmes du grotesque et de la pantomime. A une ou deux reprises, le procédé fonctionne et permet de passer brièvement outre les limitations qu'impose le décor: le médecin se démultipliant en une armée de clones étouffant Wozzeck de son autorité. Ou bien les figurants, en soldats, debout de profil, un oreiller appuyé sur la tempe comme métaphore de la caserne endormie. Las, pour le reste, les interventions des figurants tombent à plat.

Enfin, Andreas Homoki pousse son concept jusqu'à l'absurde: un personnage demande-t-il à Wozzeck pourquoi sa main est couverte de sang, après le meurtre de Marie ? Pas de sang. Le livret laisse Wozzeck se noyer dans un lac, ses cris effrayant les autres personnages, qui prennent la fuite ? Wozzeck sort silencieusement par le fond de la scène.

Service minimum


Comment juger la mise en scène d'Andreas Homoki ? Doit-on louer son minimalisme, son effort d'épure ou pourquoi pas le faible coût du décor en ces temps de crise financière ? Hélas non. Tout laisser à l'imagination du spectateur me paraît une approche relativement paresseuse de la mise en scène, en premier lieu : Homoki, confronté à une œuvre certes difficile, a limité ses efforts d'interprétation à une unique métaphore filée, Wozzeck contre les marionnettes, et a nivelé par le bas tout le reste.

Ensuite, et c'est mon grand reproche, ce n'est malheureusement pas tant l'imagination du spectateur que sa mémoire qui est sollicitée: dans une telle mise en scène, l'œuvre devient illisible sans une très bonne connaissance du livret pour parvenir à suivre le fil forcément décousu de la narration. Comment, autrement, comprendre qu'Andres coupe du bois dans la forêt avec Wozzeck, quand ce dernier est soudain pris d'hallucinations ? Comment comprendre que Wozzeck est en train de se noyer quand ce dernier a tout bonnement quitté la scène sans plus aucun bruit ? A part les paroles, souvent très elliptiques, aucun indice ne permet de différencier une caserne d'une forêt, un lac d'un pas de porche, une hallucination d'une taverne. Au delà de rendre incompréhensible l'enchainement de péripéties pour une bonne partie du public, l'absence de jeu, de décor, de mise en scène, fait qu'il est difficile de se prendre d'intérêt pour les personnages tant ceux-ci sont statiques : la mise en scène, le décor, brident complètement les possibilités des artistes, en dehors du chant. Christian Gerhaher s'en sort brillament, de même que le reste de la distribution, mais, pourtant, quel dommage de ne pas leur avoir laissé plus d'espaces !

En définitive, Andreas Homoki livre une mise en scène absurde, dans laquelle on a souvent le sentiment d'encore moins comprendre bien que Wozzeck ce qui lui arrive, alors que ce dernier est en train de sombrer dans la folie. En résulte une lecture illisible, lourde, et qui rend l'œuvre encore plus difficile d'accès qu'elle ne l'est, au détriment du beau travail des interprètes et de l'orchestre. Une opinion qui semblait partagée par le reste de l'audience tant les applaudissements furent mous, si ce n'est pour les interprètes principaux et pour le chef d'orchestre Fabio Luisi.

Swann

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