Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand

mercredi 10 février 2016

Haitink / Gardiner / Blomstedt

Johannes Brahms - Un requiem allemand - direction : Bernard Haitink

Wolfgang Amadeus Mozart - Symphonie n°39 en mi bémol majeur & Messe en ut majeur - direction : Sir John Eliot Gardiner

Grieg / Lidholm / Dvorak - "Hoher Norden - Neue Welt" - direction : Herbert Blomstedt

Tonhalle Zürich, janvier 2016


Mon abonnement à l'Opernhaus ayant hiberné tout le mois de janvier, je me suis contenté de bonne grâce du programme de la Tonhalle pour trois concerts où Lionel Briguier laissait son orchestre dans les mains de trois prestigieux aînés, trois grands maîtres du vingtième siècle, pour un programme qui me rappelait quelques souvenirs de ma jeunesse enfuie.


Brahms - Un requiem allemand



Si les requiems sont l'accompagnement des messes aux défunts dans la tradition catholique, ils ne sont pas pour autant des oeuvres de pleurs et de lamentations. Ils ont à charge d'apporter une compassion, un réconfort, autant qu'ils doivent faire entrevoir une espérance, faire accepter la mort comme un passage vers quelque chose de plus grand.

D'une certaine manière, on peut diviser les requiems en deux catégorie. Les requiems "publics" et les requiems "intimes". Les requiems publics se veulent une affirmation, une profession de foi inébranlable faite au monde face à la mort. Mozart, Verdi en constituent deux bons représentants. Les requiems intimes, comme le requiem de Fauré ou le trop peu connu requiem de Maurice Duruflé, ne sont pas une déclaration au monde mais un message porté aux familles, aux amis, aux proches. Requiem démonstratif, qui proclame la foi dans un salut éternel et présente une vision grandiose de l'autre monde, contre requiem empathique et intime, qui console et "rationalise".

En regard, le requiem de Brahms résiste à cette dichotomie et trace un chemin peu usité, en liant la compassion d'un requiem intime et la puissance d'évocation d'un requiem public. La partition est superbe, passant de la tristesse au grandiose, de la compassion au solennel sans rupture, dans un équilibre parfait entre choeur, orchestre et solistes. L'orchestre de la Tonhalle est à son meilleur, et le choeur de la Zürcher Sing-Akademie a la délicatesse nécessaire pour les parties les plus pianos, et l'envergure suffisante pour les segments plus enlevés. La direction de Bernard Haitink est quant à elle magnifique, avec une finesse et un contrôle de la très large formation qu'on ne s'imaginerait pas possible : Haitink parvient dans les moments de recueillement de la partition à faire sonner ses quelques 150 instrumentistes et choristes comme un orchestre de chambre, et à passer à l'ampleur des forte, puis revenir aux pianos avec une fluidité et une harmonie surnaturelle. Les solos sont quant à eux bien très bien chantés par la soprane Camilla Tilling et le baryton Christian Gerhaher, que l'on avait aimé dans le rôle-titre de Wozzeck et que l'on retrouvait avec plaisir dans un cadre plus agréable que le décor et la mise en scène de l'Opernhaus.

La singularité d'Un requiem allemand se trouve aussi dans le fait qu'il ne s'agit pas d'une messe de requiem : la messe de requiem est une messe de la liturgie catholique, Brahms, de tradition luthérienne, n'a donc pas écrit une messe, mais une variation libre, d'où l'usage de l'article indéfini dans son titre. Ainsi, Brahms n'a pas repris le texte lithurgique catholique en latin, mais lui a substitué un texte tiré par lui des Ecritures, en allemand. Une différence importante, puisqu'au lieu de la psalmodie d'un texte liturgique en latin, dont le sens échappe aux fidèles, le texte de Brahms s'adresse directement au fidèle, dans une langue qui lui est intelligible. Cet aspect est particulièrement sensible dans les solos, surtout dans les interventions de Christian Gerhaher, qui rend par example vibrant ce monologue d'une homme qui doute, effrayé par son destin, qui en appelle à Dieu, et qui entre deux élans lyriques semble presque plus nous parler directement que chanter une quelconque partition. Gerhaher est excellent.

C'est la grandeur de cette oeuvre, et c'est la grandeur de la direction de Bernard Haitink : une oeuvre qui semble parler directement au fidèle, à la personne en deuil, au spectateur, à l'humain finalement, qui compatit à sa tristesse et à son incompréhension devant la brièveté et l'injustice de l'existence ("Seigneur, que dois-je attendre ?"), qui la console ("Béni soit leur chagrin : qu'ils en soient soulagés"), mais qui soudain peut faire surgir une espérance lumineuse, une vision monumentale du monde qui vient, peut-être, après.


Mozart - Symphone n°39 & Messe en ut



Le deuxième concert était consacré à Mozart, sous la direction de Sir John Eliot Gardiner, avec son orchestre, les English Baroque Soloists et son choeur, le choeur Monteverdi. Une distribution de grande qualité à n'en pas douter. J'avais pourtant beaucoup aimé le choeur de la Zürcher Sing-Akademie la veille dans Brahms, mais force est de constater que le choeur Monteverdi opère à un tout autre niveau : la qualité et la beauté des voix, lumineuses chez les sopranes et altos en particulier, en font indéniablement l'un des meilleurs choeurs en activité. La direction de Gardiner, nette, précise, enlevée, était de même très bonne. Et pourtant... Pourtant je suis sorti un peu déçu de ce concert. Pas par l'interprétation, mais par le choix des oeuvres : j'ai le sentiment que l'on n'apprécie pas la qualité du choeur Monteverdi dans la messe en ut, que l'oeuvre est trop facile pour que son talent soit vraiment visible, ou tout du moins qu'elle ne permet pas à des interprètes aussi bons de se distinguer de ceux qui le sont moins.

La messe en ut comme le requiem de Brahms sont deux oeuvres que, dans une autre vie, j'ai chantées dans un choeur d'amateurs. La messe en ut est souvent chantée par les choeurs d'amateur, car c'est justement une oeuvre facile dans laquelle même des amateurs peuvent parvenir à un résultat honnête, quand le requiem demande beaucoup plus de travail pour parvenir à un résultat honorable, les efforts pour être vraiment bon étant en dehors de portée de la plupart des formations amateurs.

Loin de moi l'idée de soutenir que le choeur de ma jeunesse chantait la messe en ut aussi bien que le choeur Monteverdi : comme je l'ai dit, à quelques moments, il était très clair que le choeur Monteverdi surclassait de beaucoup le choeur de la Sing-Akademie, et tous les choeurs amateurs d'Europe. Mais ces moments d'évidence étaient bien trop brefs, et pour le reste, la Sing-Akademie aurait pu délivrer une prestation tout aussi belle, à mon avis.

Le même reproche peut être fait à la symphonie, qui là encore, ne permet pas vraiment à l'orchestre de se démarquer. Un choix d'oeuvre qui ne permet pas aux interprètes de briller, ou peut-être une direction qui ne rend pas assez ses talents aussi visibles qu'ils pourraient et devraient l'être...


Hoher Norden - Neue Welt



Doyen de ces trois chefs d'orchestre, Herbert Blomstedt était pourtant le plus énergique des trois, tant physiquement, semblant avoir 20 ans de moins que ses 88 ans, que dans sa direction. Si la bonne santé de M. Blomstedt ne peut que nous réjouir et forcer notre respect, sur le plan de la direction musicale, il aurait pu être intéressant d'être plus dans la retenue, moins dans le petit lapin Duracell.

Curieuse impression que celle laissée par Blomstedt. Il semble se comporter comme un chef farceur, dont la direction et les choix semblent moins vouloir développer une vision des oeuvres que taquiner le public. Dans la première suite de Peer Gynt de Grieg, comme dans la Symphonie du nouveau monde de Dvorak, il semble étouffer, dans chaque phrase, quelques notes, un motif, changer l'équilibre de l'orchestre, ce qui donne l'impression déconcertante d'amputer des oeuvres que l'on connaît et apprécie. Son choix du deuxième morceau, Poesis d'Ingvar Lidholm, semble être un pied de nez au public (plutôt âgé et conservateur) de la Tonhalle, avec une oeuvre expérimentant sur la dissonance (moment visuellement impressionant où tous les violons jouent différemment, les archets évoluant de manière anarchique. Moins impressionant musicalement toutefois), et sur la multitude de sons qu'on peut produire avec un piano sans utiliser le clavier : Gilles Grimaître y joue très bien des coudes, du maillet, du pizzicato sur les cordes et du claquement de couvercle, entre autres, et son interprétation courageuse et athlétique mérite les honneurs. Par parties, c'est amusant ou surprenant, mais en tant qu'oeuvre, ce n'est ni très cohérent ni très agréable, sentiment partagé par l'orchestre dont la quasi-totalité affichait une mine affligée tout du long. L'orchestre retrouvait des couleurs pour finir sur une Symphonie du nouveau monde un peu confuse.

Enfin, on notera la volonté notable de Blomstedt de battre le record de vitesse pour le dernier morceau de la suite n°1 de Peer Gynt, le bien connu Dans l'antre du roi de la montagne. Peer Gynt est une oeuvre que je connais bien, et ce segment particulièrement, puisque c'est par là que j'ai commencé à apprécier la musique classique orchestrale. J'ai beaucoup écouté l'antre du roi de la montagne, morceau que j'aime beaucoup, mais c'était la première fois que je l'entendais en concert. On peut se dire que Blomstedt souhaitait rendre hommage à M le Maudit, car "assassinat" est le terme le plus adapté à son interprétation. Joué tambour battant, très, trop rapide dès le début, le morceau et la progression qui l'accompagne sont complètement compressés. Dans la première partie, le son de balancement lent, inquiétant, sourd, des cordes est complètement étouffé par le tempo, et le final, hystérique, est à la limite de l'audible. Tout ce qui fait la beauté et la subtilité du morceau est raboté. On se retrouve avec quelque chose qui ressemble à une sonnerie de portable : le son est mauvais, mais on reconnait le morceau très connu. Blomstedt semble rire de sa plaisanterie. Moi non. Herbert Blomstedt, je ne vous remercie pas.


Attentes



Il est toujours amusant de voir combien nos attentes sont différentes quand nous allons entendre des morceaux que nous connaissons déjà. Cela peut-être exaltant (Brahms par Haitink, Elektra monté par Chéreau après la purge Kusej) comme cela peut être décevant (Blomstedt). Le plus frustrant néanmoins, et d'être déçu sans ne rien trouver à reprocher aux interprètes, comme c'est le cas pour Gardiner. Sentiment que je devais retrouver quelques semaines après à l'Opernhaus.

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