Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand

mardi 15 septembre 2015

Verdi - Aïda

Opéra en 4 actes de Guiseppe Verdi, sur un livret d’Antonio Ghislanzoni

Direction : Renato Palumbo – Mise en scène : Tatjana Gürbaca

Opernhaus Zürich, 12 Juin 2015




Même si l'Opernhaus ne semble pas vouloir le reprendre pour le moment, il me semble de bon ton de proposer un contre-point à ma critique très différente d'Elektra, afin de donner une idée du type de critique que l'on trouvera ici.

Cette première critique sera donc consacrée à ce qui semble être le marronnier historique de l’Opernhaus de Zürich, lequel en monte une nouvelle mise en scène par an, à savoir un opéra de Verdi. Aïda, un de ses opéras les plus populaires, les plus « grand-publics » si l’on peut dire, semblait être une bonne introduction.

L’aspect grand-public d’Aïda était néanmoins tempéré, dans cette mise en scène, par un grand minimalisme, qui contraste avec les mises en scènes plus classique de l’œuvre : des décors et costumes modernes, simples, et, audace, pas de défilé pour la célèbre marche triomphale. Apparemment, lors de la première, le public siffla la mise en scène du fait de l’absence de défilé, de costumes bigarrés, d’obélisques et autres éléphants. Malgré cette économie d’effets et d’éléphants, je trouvais la mise en scène ainsi que l’interprétation tout à fait plaisante.

Triangle amoureux chez Ramsès


Avant d’entrer plus dans le détail, donnons d’abord quelques clefs sur l’intrigue. Ce ne sera pas long, un triangle amoureux tragique assez banal au temps des pharaons : Radamès, général égyptien, aime Aïda, esclave éthiopienne, et vice-versa. Amneris, aime Radamès, mais, la pauvre, ce n’est pas réciproque. Amonasro, roi d’Ethiopie, et père d’Aïda, contraint cette dernière à manipuler le brave Radamès afin de lui faire divulguer des secrets militaires. Pris en flag’, Radamès est condamné, malgré les appels à la clémence d’Amneris toujours amoureuse, à être emmuré dans une crypte pour haute-trahison. Seule dans la crypte, Radamès y découvre Aïda, qui a souhaité mourir avec celui qu’elle aime. Les deux amants expirent donc, enfin réunis dans la mort, pendant qu’Amneris, pas rancunière, implore pour eux la paix éternelle.

Aïda est sans doute plus considéré comme un opéra « en costume », se prêtant bien aux décors égyptisants et aux scénographies monumentales (cherchez « Aïda stade de France » sur YouTube pour vous faire une idée). Pourtant, j’ai apprécié la sobriété de la mise en scène moderne de Tatjana Gürbaca, qui offre une approche intéressante de l’œuvre, même si elle s’accorde parfois quelques facilités dans la modernisation. L’opposition entre Egyptiens et Ethiopiens est représentée en campant les Egyptiens en caste bourgeoise isolée, hiérarchisée, un peu désœuvrée, quand les Ethiopiens sont représentés comme une population à la fois plus pauvre, mais plus homogène, plus solidaire. Le sous-entendu est que la victoire des Egyptiens est due non pas à une plus grande valeur martiale, mais de meilleurs moyens. On admettra que la lutte des classes comme métaphore de la lutte entre Egyptiens et Ethiopiens n’est pas une idée follement originale, mais elle est ici utilisée de manière efficace. Radamès fait aussi les frais de la relecture, le héros tragique étant bien un commandant et stratège doué, mais représenté sous la forme d’un technocrate certes zélé, mais sans charisme, simple rouage de la mécanique d’Etat (tout comme d’ailleurs le grand prêtre Ramphis), homme de dossier et de théorie plus qu’homme d’action et meneur d’hommes. De retour de la guerre, il se soustrait donc au défilé de son armée victorieuse, qu’il regarde à la télévision en noyant ses traumas à pleins verres de Jeannot le Marcheur. Sinon, on pourra reprocher à la mise en scène quelques vagues métaphores un peu clichées et sans grand intérêt évoquant l’actualité récente, inutiles mais heureusement sans grand impact.

Espace, lumière et décombres


Le décor de Klaus Grünberg, pour épuré qu’il soit, exploite de belle manière l’étroite scène de l’opéra de Zürich : pour les deux premiers actes, une série de toiles permet de délimiter un intérieur à l’avant de la scène, figurant le palais. L’éclairage (Grünberg aussi) permet de jouer avec la transparence des toiles, ce qui laisse les possibilités « d’ouvrir » la scène sur le chœur, placé à l’arrière-scène. Les jeux de lumière sont aussi utilisés pour ouvrir une fenêtre sur de petites scénettes en arrière-scène, qui permettent de résumer la guerre entre Egyptiens et Ethiopiens, un effet très réussi.

Dans la deuxième partie, qui chronique la chute de Radamès, le plateau est laissé entièrement ouvert, éclairé, entièrement nu à l’exception d’ottomanes répartie çà et là. Contrastant avec l’intérieur chaud de la première partie, le décor est donc plus froid, plus sombre, plus hostile aux personnages esseulés sur la scène, et où la trahison de Radamès ne peut que se produire aux yeux de tous. Enfin, sans doute la meilleure idée de mise en scène, en réponse à Amneris maudissant les prêtres qui viennent de condamner Radamès, le ciel semble s’ouvrir et des monceaux de ruine s’abattent soudainement sur la scène, joli point d’orgue au procès de Radamès. Cela transforme aussi immédiatement le décor pour le tableau final de la crypte, paysage désormais lunaire éclairé d’une lumière blanche de plus en plus blafarde, qui s’éteint ensuite lentement, tandis que soudainement vêtue de noir, Amneris accompagne par son chant les amants dans la mort.

Seule petite faute de goût, le plateau est incliné de 10 degrés dans la deuxième partie, et entre la pente et les débris, les personnages passent la plupart de leur temps à regarder leurs pieds pour ne pas glisser, ce qui nuit quelque peu à l’intensité dramatique.

Des héros au second plan


En ce qui concerne l’interprétation, la Philharmonie de Zürich et le Chœur de l’Opéra, dirigés par Renato Palumbo fournissent une belle interprétation de la partition, malgré parfois quelques légers problèmes d’équilibre entre l’orchestre d’un côté, le chœur et les interprètes de l’autre.
La distribution, dans l’ensemble bonne, souffre tout de même de quelques soucis. Le principal problème vint avant tout de Radamès, interprété par Aleksandrs Antonenko, qui sonna passablement enrhumé pendant les deux premiers actes, avec un niveau qu’on qualifiera gentiment de juste passable.  Après l’entracte toutefois, Antonenko semblait métamorphosé et délivrait jusqu’au final une très belle prestation. Dans le rôle d’Aïda, Latonia Moore propose une interprétation efficace,  bien que parfois un peu juste sur les passages les plus techniques, mais manquant terriblement d’émotion.

Et c’est mon principal reproche, les deux interprètes principaux m’ont tous les deux frappés par leur cruel manque de charisme. Pour Radamès, le choix de la metteuse en scène d’en faire un personnage un peu falot, un demi-héros fatigué, y joue pour beaucoup. Surtout, en banalisant les personnages, en enlevant à Radamès toute stature héroïque, il ne reste à voir que la médiocrité du livret, dans lequel Radamès est un personnage somme toute assez peu crédible et pas très malin : son sort est bien triste, mais soyons francs, il l’a tout de même bien cherché !

A l’inverse, les personnages d’Amonasro et Amneris m’ont tous deux semblé beaucoup plus intéressant, particulièrement Amneris, emprisonnée entre son amour pour Radamès, sa jalousie envers Aïda et son dépit de ne pas être aimée. Andrzej Dobber, dans le rôle d’Amonasro, joue à la perfection le rôle classique du méchant baryton, dur, manipulateur sans pitié. Quant à la mezzo-soprano Veronica Simeoni, elle interprète avec un grand talent et une grande conviction le rôle d’Amneris. Surtout, par rapport aux deux rôles principaux, Dobber et Simeoni incarnent leur personnage et jouent leur rôle de manière beaucoup plus engagée et convaincante : l’Amneris de Simeoni suscite bien plus d’émotions que l’Aïda de Moore.

Enfin, les interventions de Wenwei Zhang (basse) dans le rôle du grand prêtre Ramphis viennent rythmer avec une grande solennité le déroulement de la pièce. Comme Radamès, Ramphis sert l’Etat, son rôle étant d’informer les personnages et d’appliquer la loi, et une certaine connivence semble exister entre eux au début de l’opéra. Cependant, au contraire de Radamès, il ne s’implique jamais personnellement, si ce n’est une fois, pour conseiller à Radamès de suivre sa raison plus que son cœur, conseil qui restera ignoré. Ramphis devient donc finalement non plus un agent de la loi, mais l’incarnation même de la Loi et du destin tragique, car c’est lui qui, tout au long de l’œuvre, fait avancer les situations. Ramphis est ainsi un personnage fort de l’opéra, dont les interventions servent toujours de charnière au déroulement de processus tragique, il mérite donc un interprète capable de l’intensité et la gravité nécessaire au rôle : toute l’intensité dramatique du jugement de Radamès repose sur les apostrophes, répétées toujours plus fort, de Ramphis (« Radames… Discolpati ») que Zhang délivre avec une autorité et une maîtrise parfaite, comme le reste de sa partition.

Pour conclure, malgré quelques faiblesses pardonnables, l’Opéra de Zürich proposait une belle reprise d’Aïda. Si la mise en scène moderne a pu décevoir par son minimalisme, et s’accorde quelques facilités, elle offre une lecture intéressante. Sans être exceptionnelle, l’interprétation était bonne, voire excellente pour les rôles d’Amneris et Ramphis, même s’il est regrettable que leurs interprètes, Veronica Simeoni  et Wenwei Zhang, dans le rôle des deux seconds couteaux, éclipsent sur tous les plans les deux interprètes, un peu fades, d’Aïda et Radamès.

Swann


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