Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand

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lundi 4 janvier 2016

Restless - Forsythe / Leon & Lightfoot / Lee / Portugal

New sleep - William Forsythe
Skew-whiff - Sol León/Paul Lightfoot
Aria - Douglas Lee
Dialogos - Filipe Portugal (première)
Opernhaus Zürich, 20 décembre 2015



Restless : New sleep (William Forsythe) - Manuel Renard, Dominik Slavkovsky, Wei Chen et Eva Dewaele - Crédit photo : Gregory Batardon, Ballet Zürich


En un mot: une bonne soirée de danse contemporaine

Alors que la fin d’année approchait (et si), l’Opernhaus nous proposait une dernière première, un dernier effort avant de laisser notre intellect hiberner quelques semaines pendant que nous retournons aux instincts primaires pour les fêtes : manger, boire, configurer son nouvel iPhone. Du ballet donc, pour finir, avec 4 courtes chorégraphies de danse contemporaine.


Forsythe par l’absurde



New sleep, crée en 1987, nous fait retrouver le duo William Forsythe et Thom Willems, déjà à l’oeuvre pour In the middle, somewhat elevated monté il y a quelques mois. Thom Willems propose une musique électronique lente aux sonorités rudes, industrielles, mais très épurée, qui offre une base idéale pour les changements de rythme, de style, les contrastes que Forsythe affectionne. New sleep se place dans la même veine de dépoussiérage du langage chorégraphique qu’In the middle : on retrouve la même volonté de surprendre, d’utiliser des éléments connus pour bâtir quelque chose d’inconnu, mais avec un parti pris cette fois très différent.

Cette fois, Forsythe créée l’inattendu, le déséquilibre, en introduisant dans le corps de ballet et dans une chorégraphie élégante un élément perturbateur : trois personnages costumés qui jouent tout au long de la chorégraphie avec des chapeaux, des boules de bowling de plus en plus démesurées, et une plante verte. Ils dansent aussi, mais en décalage complet avec le reste du ballet, avec des gestes saccadées, des poses d’automates, qui contrastent avec la fluidité des pas des autres danseurs. Il n’y a pas d’histoire à raconter : selon un Forsythe moqueur,il s’agit “d’une famille faisant de la recherche en sciences appliquées”. il s’agit donc d’une pure expérience formelle, et on y trouve un génie certain dans l’élégance avec laquelle les trois trublions s’insèrent dans le reste du ballet, s’y perdent avant soudainement d’attirer de nouveaux l’attention.

On notera un intéressant travail sur la construction de l’espace avec les lumières, utilisées pour découper la scène en zone de lumière, d’obscurité et de pénombre, zones qui changent brutalement et transforment d’un coup la scène et la perception de l’espace.

Comparé à In the middle, New Sleep n’est pas aussi réussi. Forsythe fait de ses trois personnages une distraction, qui sert son expérience formelle mais qui distrait trop le spectateur : au lieu de contempler la combinaison des éléments perturbateurs avec le reste du ballet, on en vient à ne se concentrer que sur eux. On lutte longtemps à comprendre les agissements du trio alors qu’il n’y a rien à y comprendre. Malheureusement, New sleep est une pièce courte, qui laisse peu de temps pour l’apprécier après qu’on l’ait comprise. Pourtant, une fois admis le caractère absurde de New sleep, on est témoin d’une expérience intéressante, similaire à In the middle : de la belle chorégraphie, avec ces ruptures qui surprennent, amusent, relancent constamment l’intérêt. Dommage, New sleep fonctionne moins bien et se laisse difficilement approcher. D’où les applaudissements chaleureux mais pas enthousiastes du public. Une tiédeur peut-être aussi causée par le très légère imprécision technique dans l’exécution, New sleep étant des 4 pièces au programme la moins bien interprétée (en termes tout relatifs).


Second degré



L’Opernhaus semble avoir un goût prononcé pour les chorégraphies venues du royaume d’Orange, une création du NDT2 figurant systématiquement au programme des dernières productions. Ce soir, il s’agissait de Skew-whiff, une chorégraphie du duo Sol Leon et Paul Lightfoot, présentée au Nederlands Dans Theater en 1996. New sleep et sa difficulté d’accès souffrirent un peu du contraste avec Skew-whiff, une chorégraphie très enlevée, légère, burlesque, directe. Surtout, l’humour de la chorégraphie se basait sur un jeu de déconstruction des éléments chorégraphiques assez similaire à ce que fait Forsythe, ce qui donnait presque l’impression de voir le complexe New sleep caricaturé par le léger Skew-whiff.

Skew-whiff est un mélange entre une chorégraphie nerveuse, très physique, et une nonchalance gouailleuse vis-à-vis des codes du ballet : on y moque la grandiloquence des musiques (Rossini en sort habillé Mammut pour l’hiver), les faunes ridicules, les scènes de séduction en pas de deux ampoulé du ballet à l’ancienne. Leon et Lightfoot peuvent se permettre ces critiques, car ils utilisent les mêmes éléments de langage, et les utilisent assez bien. La chorégraphie en elle-même n’est pas esthétiquement très recherchée, mais ils montrent tout de même qu’avec les mêmes ingrédients, on peut dire autre chose que le ballet de papa, on peut être léger, on peut en rire, et c’est effectivement assez drôle, bien que parfois un peu lourd. Leur message passe, mais a une portée tout de même limitée : Forsythe aussi innove avec le langage chorégraphique, mais a une autre ambition dans ce qu’il essaye de faire avec.

Peu importe, la chorégraphie est somme toute intéressante, et les quatre danseurs (Katja Wünsche, que l'on retrouve plus à son avantage juste après, Daniel Mulligan, Matthew Knight, Surimu Fukushi) impressionnent dans leur exécution de ce ballet très athlétique.


Pas plus de deux



Aria, de l’anglais Douglas Lee, crée au Balais de Stuttgart en 2012, occupe une place à part dans la soirée, de par sa simplicité et son absence d’artifice comparé au reste du programme. Il s’agit d’un simple pas de deux, sans message, sans tentative de réécrire la danse contemporaine. Sa seule recherche semble être la simple beauté de le chorégraphie. Si d’aucun pourraient affirmer qu’Aria n’était pas le ballet le plus intéressant du programme, c’était en tout cas le plus beau moment de la soirée : la confusion de New Sleep lui nuit, pour drôle qu’il soit, la chorégraphie de Skew-whiff n’est pas particulièrement belle, et si Dialogos a plus d’ambition, Douglas Lee, en se concentrant sur un simple et bref pas de deux, offre quelque chose de singulièrement plus pur et plus beau, avec ce soir deux solistes (Katja Wünsche et Alexander Jones) parfaitement en phase avec la chorégraphie.

Il y a peu à dire. C'est simplement très beau.


Tous en scène



Le dernier segment de la soirée était la création de Dialogos, de Filipe Portugal, soliste du Ballet de Zürich, et dont il s’agissait de la première chorégraphie jouée par le corps de ballet principal. Chose rare, le pianiste  et compositeur zurichois Nik Bärtsch et son groupe Mobile jouaient la musique du ballet depuis la scène même, une sorte de jazz minimaliste un peu groové assez agréable à l’oreille, et offrant une belle matière avec laquelle le chorégraphe peut travailler. Sur cela, Portugal construit une jolie chorégraphie, variée et dynamique. D’aucun lui reprocherait son académisme, Portugal semblant certes vouloir démontrer sa maîtrise des différents tropes chorégraphiques (danseurs seuls, pas de deux, en groupes…), ce qui est je pense une sorte de parcours imposé pour un jeune chorégraphe ; parcours imposé dont Portugal se sort cependant avec une grande élégance. 

Au delà de cette remarque sur la forme, Dialogos contient sur le fond des éléments très intéressants et très prometteurs quant aux futures créations de Filipe Portugal. Tout d’abord, une capacité à mettre en scène des mouvements remarquablement complexes avec des danseurs évoluants en parallèle sur un grand nombre de schémas distincts. La complexité et l’équilibre des tableaux qu’il compose ainsi forcent déjà un certain respect. De plus, Portugal présente un travail intéressant sur les portés, domaine dans lequel il s’autorise quelques belles audaces : rigoureusement exécutés par les danseurs malgré leur difficulté physique et technique, ses portés semblent suspendre les danseurs dans les airs de manière tout à fait remarquable.

En résumé, la chorégraphie de Filipe Portugal, parfaitement portée par ses collègues du Ballet, faisait très bonne impression et annonçait un avenir prometteur pour Filipe Portugal, s’il évite toutefois deux écueils : un goût un peu trop prononcé pour les mouvements trop athlétiques (un des portés tombait complètement à plat, car relevant plus du numéro de main-à-main que du ballet), et un discernement des couleurs contestable, au vu des costumes sensiblement horribles de Claudia Binder.

Restless : Aria (Douglas Lee) - Katja Wünsche et Alexander Jones - Crédit photo : Gregory Batardon, Ballet Zürich


C’est ainsi avec une belle revue de danse contemporaine, des chorégraphes établis aux jeunes chorégraphes, des années 80 à 2015, que le Ballet souhaitait entrer en 2016. Un spectacle à voir, offrant une belle variété de point de vue sur le ballet contemporain.


Bonne année 2016,


Swann



dimanche 4 octobre 2015

Forsythe / Kylián / Naharin

In the middle, somewhat elevated - William Forsythe
Gods and Dogs - Jiří Kylián
Minus 16 - Ohad Naharin
Opernhaus Zürich, 2 octobre 2015


Pornpim Karchai - "In the middle, somewhat elevated" de William Forsythe - Crédit photo : Grégory Batardon


La première création de la saison du Ballet de l'Opernhaus s'approprie trois chorégraphies contemporaines issues des 3 dernières décades. Trois styles distincts, et finalement trois opinions assez distinctes.


Fortuites asymétries


In the middle, somewhat elevated, créée en 1987 par le ballet de l'Opéra de Paris, est la chorégraphie la plus connue de William Forsythe, et bientôt 30 ans après sa création, elle restait vendredi soir un ravissement sous les pas des danseurs du Ballet de l'Opéra de Zürich. Sur une musique électronique lente, rythmique, de Thom Willems, Forsythe se joue à déconstruire le langage chorégraphique classique pour le reconstruire en prenant le spectateur au dépourvu : les danseurs sont figées, fixes et désarticulés comme des automates, puis soudain un enchaînement, très rapide, complexe, si fluide, enfin de nouveau, cette rigidité d'automate. Ces ruptures de rythme, ces contrastes entre fluidité et rapidité, puis rigidité mécanique, sont une constante de la chorégraphie. Un deuxième élément clef est l'absence de schéma, de symétrie dans les déplacements, les combinaisons de danseurs, qui pourraient rendre la chorégraphie prévisible. A chaque instant, un nouvel élément perturbateur vient raviver l'intérêt, créer la surprise: un danseur traverse soudain la scène en marchant, deux danseurs soudain dansent à contre-temps des autres, un danseur développe un motif complètement différent dans la pénombre de l'arrière-scène, un danseur soudain rompt l'alignement avec deux autres et s'éloigne en diagonal... Sous cette structure, il reste les mêmes pas, la même base de ballet néo-classique, avec ici des enchaînements très purs, très techniques, très rapides, les éléments constitutifs d'une très bonne chorégraphie. Le génie de Forsythe vient ici de la manière dont il reconstitue un langage chorégraphique et ré-assemble ces composants, de telle manière à ce que le spectateur soit à chaque seconde surpris, étonné, ravi, par chaque nouveau pas, par chaque nouvelle bifurcation : je me suis surpris à sourire largement pendant une longue partie de la chorégraphie. La complexité et la rapidité des enchaînements exige beaucoup des danseurs, et on remarquait quelques fois que les enchaînements n'étaient pas aussi complètement fluides que nécessaire, mais ce ne fut là qu'une détail très mineur de ce très beau ballet. Dès le premier entracte, la soirée avait déjà était bien employé.


Technique sans émoi


Après mon enthousiasme pour Falling angels de Jiří Kylián la saison dernière, et encore tout à ma félicité après In the middle, j'attendais le deuxième ballet de la soirée, Gods and Dogs, du même Jiří Kylián, avec impatience. Las, quelle déception ! Pourtant, c'est un ballet technique, complexe, exigeant, qui était très bien dansé. Mais j'y suis resté complètement indifférent, malgré mes efforts pour m'y intéresser : il me manquait un fil conducteur, une cohérence ou peut-être une émotion que j'ai cherché en vain. De fait, les enchaînements me semblaient n'être que de simples démonstrations de prouesse techniques, froides, enchaînées les unes après les autres. Je suis resté finalement plus sensible à la scénographie qu'à la chorégraphie en elle-même : comme pour Falling Angels, je suis resté admiratif de la manière donc Kylián parvient à obtenir une richesse d'effets d'un décor pourtant très simple (une expertise qui manquait clairement dans le Wozzeck de cette rentrée). Finalement, une chorégraphie technique, oui, certainement, et bien dansée. Mais il devait manquer quelque chose, et je passais donc complètement à travers.


La plaisanterie


Minus 16 est un assemblage d'extraits d'oeuvres antérieures d'Ohad Naharin, et constituait une sorte de contre-point, façon face B à In the middle, en déconstruisant là aussi le langage chorégraphique, d'une manière moins sérieuse, et, disons, plus conviviale : la lumière de la salle reste allumée une bonne partie du ballet, le public rit, applaudit, participe même quand les danseurs du ballet viennent se choisir des partenaires dans le public qu'ils ramènent sur scène. On alterne segments loufoques, improvisés ou non, modernes ou classiques, sur une variété de musiques, cha-cha, musique traditionnelle israélienne, grosse musique électronique de boîte de nuit... C'est amusant, distrayant, rafraichissant, assez beau même, comme ce passage où les danseurs jouent des contrastes de couleur de leurs vêtements, et de l'effet visuel de 15 danseurs lançant simultanément au milieu de la scène veste ou chapeau, ou comme ce pas de deux sur un extrait de Vivaldi. La partie où des membres du public se retrouve sur scène est à la fois drôle, exigeante, intéressante, originale, elle est assez réussie. Pourtant, même si l'on rit bien, il subsiste quelques écueils. Le premier est une banal soucis de consistance : Minus 16 est une suite d'extraits disparates, et on cherche sans qu'on la trouve une cohérence dans l'assemblage. Deuxièmement, la longueur : Naharin répète ses motifs, appuie le trait bien plus que nécessaire, et lasse par conséquent. La chorégraphie ne souffrirait pas si elle était condensée pour être 40% plus courte. Mais finalement, le principal problème est peut-être que l'exercice est un peu vain. Certes, on rit.  Certes, il est bon de décomplexer le ballet, de ne pas prendre la chose trop au sérieux, c'est un message valable. Mais là où In the middle pouvait légitimement prétendre avoir eu un réel impact sur la danse contemporaine, Minus 16 est plus un coup de pied dans un cocotier en plastique : c'est amusant mais ça ne secoue pas grand-chose, et ça sonne un peu creux.

Swann

Remarque: la bande-annonce de l'Opernhaus ne rend absolument pas justice à la chorégraphie de Forsythe