Critiques faites maison et en français des spectacles de l'Opernhaus de Zürich. Si vous n'êtes pas bilingue, ça va plus vite que de les lire en allemand

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dimanche 24 juillet 2016

Bellini - I Puritani

Opéra en trois actes de Vincenzo Bellini, sur un livret de Carlo Pepoli d'après Ancelot et Saintine (1835)

Direction : Fabio Luisi - Mise en scène : Andreas Homoki

Opernhaus Zürich, 3 juillet 2016


Arturo (Lawrence Brownlee), Elvira (Pretty Yende) et Ricardo (George Petean) - Crédit photo : Judith Schlosser - Opernhaus Zürich


En un mot : série B


Si l’Opernhaus Zürich n’est ni Bayreuth, ni la Scala, ni l’Opéra Garnier, force est de reconnaître que la programmation fait preuve d’une certaine ambition et que l’on y a vu au cours de la saison écoulé quelques bien jolies choses. C’est ce qui rend d’autant plus désespérant de voir la saison se terminer sur une production absolument sans envergure telle qu’I Puritani de Vincenzo Bellini, numéro d’équilibrisme entre le convenable et le passable. Et il est inquiétant de réaliser que la production la moins ambitieuse de l’année a pour metteur en scène l’intendant de l’Opernhaus, Andreas Homoki, et le chef résident, Fabio Luisi, à la direction musicale. Soyons clair, I Puritani n’était pas un mauvais spectacle. Mais c’était une production d’un niveau bien inférieur à ce que l’on est en droit d’attendre à Zürich.

Sans relief



On ne va pas s’attarder trop sur l’œuvre, le dernier opéra composé par Bellini, musicalement assez beau mais pas franchement palpitant, deux amants séparés par la guerre civile entre royalistes et puritains éponymes. Les amants sont interprétés par Pretty Yende, qui délivre une interprétation convenable mais semble être à la limite de ses capacités, et Lawrence Brownlee qui tient plutôt bien son rôle, sans pour autant susciter l’enthousiasme. La direction musicale de Fabio Luisi est correcte mais sans éclat, un triste contraste avec sa jubilatoire direction de la Flûte enchantée.
Les costumes sont insipides, mais paraissent briller de mille feux devant la pauvreté du décor : un plateau nu à l’exception de chaises et d’un grand cylindre vertical ouvert sur un flanc qui occupe la moitié du plateau et tourne sur lui-même à vitesse variable. C’est laid, pauvre, sans intérêt ou inspiration.

Sur le plan de la mise en scène, Andreas Homoki semble avoir eu aussi peu d’inspiration que pour le décor, ce qui n’est finalement pas plus mal : on s’ennuie, mais c’est pire quand Homoki a une idée de mise en scène, chose heureusement assez rare. En ce sens, c’est plus réussi que son Wozzeck.
Sa plus grande trouvaille consiste à faire mourir le héros, quand il survit et épouse l’héroïne dans le livret. Evidemment, ce n’est pas raccord, et comme le coup de théâtre intervient à deux minutes du rideau, juste avant le chœur final, il n’y pas franchement le temps de rattraper le coup. On peut suggèrer à Homoki de plutôt mettre en scène Aïda, Tosca, Norma… Le répertoire lyrique ne manque pas de héros mourant à la fin de leurs opéras, et au moins, ça ne tombera pas comme un cheveu sur la soupe : tout le monde se congratulant, louant la victoire de l’amour et de la liberté, avec la tête du héros mort par terre dans un sac, ça ne marche pas.


Si la soirée fut sans grand intérêt et ennuyeuse, on ne peut pas reprocher à I Puritani d’être une mauvaise production, ce n’est pas le cas. L’ennui naît d’un opéra moyennement intéressant, sur lequel n’a été assuré que le service minimal : interprètes pas transcendants, direction d’orchestre plan-plan, mise en scène minimale et sans inspiration, costumes sans reliefs, décors moches et basiques. Et il est fort cuisant de voir une production digne d’un petit opéra de province, pauvre et paresseuse, dans une salle qui aime à croire être un opéra important, et qui le fait payer aux spectateurs aux mêmes prix qu’à Vienne, Paris ou Milan.


Swann


lundi 9 novembre 2015

Bellini - Norma

Opéra en 2 actes de Vincenzo Bellini, sur un livret de Felice Romani

Direction : Giovanni Antonini - Mise en scène : Patrice Caurier & Moshe Leiser

Opernhaus Zürich, 18 Octobre 2015


Évènement musical de l'automne, coup de tonnerre sur la vie culturelle zurichoise: la production du Festival de Salzbourg de Norma, sous la houlette de et avec Cecilia Bartoli, fait étape dans notre jolie ville. Frisson, impatience et jubilation chez les amateurs locaux. L'Opernhaus a donc mis les petits plats dans les grands, en demandant à l'orchestre de se serrer un petit peu dans sa fosse, histoire de gagner deux rangées de fauteuils (d'orchestre), et en faisant de chaque soirée une "représentation de gala", comprendre des billets vendus à un prix franchement indécent. Les 4 représentations affichant complets, on peut d'ors et déjà affirmer que Norma fut un grand succès commercial. Mais qu'en est-il du plan musical ?

Evidemment, l'engouement du public pour les billets tenait en bonne partie à la présence de Cecilia Bartoli dans le rôle-titre. Logiquement, lorsqu'un quidam vint expliquer que Cecila Bartoli avait un petit coup de froid, ça en a mis un, de froid, dans la salle : on venait pour Norma avec Cecilia Bartoli, on nous annonce Norma avec une Norma enrhumée.  Et bien c'était malgré tout plutôt pas mal !

Norma, donc, est un opéra italien crée à la Scala de Milan en 1831, composé par un compositeur clef de l'opéra romantique et du bel canto, Vincenzo Bellini, compositeur météore, nous ayant laissé malgré sa courte carrière (il mourut à 33 ans) quelques opéras parmi les plus joués du répertoire lyrique.

Nos ancêtres les Gaulois


En 50 avant Jésus-Christ, la Gaule est occupée par les Romains. Norma, grande prêtresse druidique, découvre que le proconsul,  Pollione, dont elle a eu deux enfants, est tombé amoureux d'Adalgisa, prêtresse druidique en formation. Au même moment, les Gaulois débattent d'un soulèvement contre l'envahisseur. Voici donc pour la trame, et, soyons francs, le livret est en premier lieu pas très bon, et deuxièmement tout de même très tarte. On s'estime heureux que la mise en scène moderne de Caurier et Leiser nous épargnent les druides en costume, les serpes d'or et la cueillette du gui à la pleine lune !

En revanche, c'est un opéra qui m'a beaucoup plu sur le plan musical : si l'on ne retient souvent de Norma que le célèbre air Casta diva (une histoire de gui et de pleine lune), la partition dans son ensemble est très belle, avec une grand soin apporté à la partition du choeur et de l'orchestre.

Musicalement, la représentation à laquelle j'ai assisté était sans doute particulière, avec la soprano-titre en convalescence, mais cela laissait l'oeuvre se présenter sous un angle tout à fait intéressant. De fait, Cecilia Bartoli était en retrait, mais elle parvenait néanmoins à délivrer une prestation d'excellente facture, techniquement propre, mais sans émotion, sans envolées flamboyantes. Par conséquent, plutôt que d'attirer toute la lumière à elle, comme elle aurait pu le faire "en forme", Cecilia Bartoli se trouvait donc dans une position où elle mettait plus en valeur ses partenaires qu'elle-même. Ce qui, devant la qualité des interprètes, du choeur et de l'orchestre, fonctionnait très bien aussi.

Tout d'abord, les interprètes: une très bonne Adalgisa (Rebeca Olvera), un très bon Pollione (John Osborn). Peter Kalman certes un peu en dessous dans le rôle du druide d'Oroveso.

Ensuite l'orchestre, l'ensemble baroque La Scintilla, sous la baguette de Giovanni Antonini, apportait une très belle interprétation et de très belles sonorités à la partition. Sur Casta diva, en particulier, la délicatesse avec laquelle l'air était repris en sourdine par l'orchestre et les bois m'a plus ému que l'air lui-même.

Enfin, une très belle surprise avec les choeurs de la Radio-télévision Suisse italienne, excellents dans leur partition.

C'est sans doute la grande différence de cette production : là où souvent le choeur et l'orchestre ne fournissent qu'un support, ou ne sont qu'auxiliares par rapport aux airs, solos, duos ou trios, la qualité de leur interprétation les placent ici au même niveau que les personnages.

Musicalement donc, une très bonne soirée, que la défaillance de Cecilia Bartoli n'a pas ternie.

Un village français


Mon constat est quelque peu moins laudatif concernant la mise en scène. Ne soyons toutefois pas méchants avec Patrice Caurier et Moshe Leiser : leur mise en scène ne nuit pas à l'oeuvre, et nous épargne les cérémonies druidiques en costume, et c'est déjà bien.

Ceci étant dit, je n'ai pas trouvé que la mise en scène avait grand intérêt non plus. Le parti-pris choisi est de replacer l'intrigue en 1942 dans un village français, sous l'occupation allemande. Les rôles sont re-distribués, le proconsul devient un gestapiste galloné, les druides, un groupe de résistant. Ce qui ne fonctionne pas tout à fait.

Je comprends pleinement la volonté de changer complètement de cadre par rapport au livret. Le livret étant après tout consternant, on n'y perd que peu. Cependant, il faut faire attention à ce que la greffe puisse prendre. Or, mélanger des druides rebelles avec le scénario d'un épisode d'Un village français aurait nécessité quelques précautions pour maintenir la cohérence. Par exemple, il est assez cocasse de voir le choeur passer à tabac à coup de crosses, puis enterrer un soldat allemand. D'une part, l'un des thèmes de l'intrigue est de savoir si les Gaulois vont décider de prendre les armes ou non, alors que le choeur est déjà armé jusqu'aux dents. D'autre part, en dérouillant le soldat, le choeur chante "Norma vient, sa chevelure est ceinte de verveine aux mystères consacré". Malaise.

De plus, l'intrigue se base sur des amours interdits entre camps plus ou moins rivaux, une version triangulaire de Roméo et Juliette en quelques sorte : chaque personnage a une grandeur tragique, car pris malgré lui dans un conflit, ou une position sociale, qui les dépasse et leur impose des contraintes qui n'ont pas de raison d'être. En faisant de l'un des camps une incarnation du mal (ici, Rome transformée en Gestapo), et en faisant d'un des personnages, Pollione, un de ses officiers, donc un agent actif plutôt qu'un simple pion victime du conflit, on brise la construction tragique du triangle amoureux.

Ainsi, je ne trouve pas intéressant le choix de 1942 en France comme nouveau cadre pour Norma, mais l'impact de la mise en scène reste limité, fort heureusement.

Offre et demande


Il s'agissait donc d'une Norma inatendue mais somme toute fort plaisante qui se donnait à l'Opernhaus la semaine dernière. Malgré une Norma convalescente et une mise en scène style SFP parfois un peu aux fraises, un beau moment musical. Le public semblait conquis, applaudissant à tout rompre à la moindre pause ou temps mort, avec une frénésie un brin excessive qui semblait proportionnelle au prix des billets. Imaginez ! Mon voisin, quand il finissait d'applaudir lui-même, en venait à se boucher les oreilles le temps que l'excitation retombe !


Swann