Opéra en 4 actes de Guiseppe Verdi, sur un livret de Francesco Maria Piave et Andrea Maffei, d'après William Shakespeare (1847)
Direction : Teodor Currentzis - Mise en scène : Barrie Kosky
Opernhaus Zürich, 6 avril 2016
Lady Macbeth (Tatiana Serjan) & Macbeth (Markus Brück) - Crédit photo : Monika Rittershaus - Opernhaus Zürich |
En un
mot : un petit effort et ce serait bien
Comme
chaque saison, l’Opernhaus propose depuis le début du mois sa production
annuelle de Verdi, Macbeth étant cette année à l’honneur. Une bonne manière de
me rappeler aussi mon retard à écrire tout le bien que j’avais pensé de Hamletmaschine, malgré le peu de succès qu’a
rencontré cette prise de risque dans le programme. On reste aussi dans le ton
de King Arthur, puisqu’on retrouve
sorcières, esprits aériens, forêts qui bougent d’elles-mêmes, rois et héros des
îles britanniques (cette fois-ci, des Écossais).
Regarde les hommes tomber
Basé sur la
pièce de William Shakespeare du même nom, Macbeth est une tragédie, on sait ainsi
dès le départ que tout cela finira mal, très mal, pour Macbeth. Shakespeare va
même plus loin, dès la deuxième scène, en exposant toute la mécanique qui
poussera Macbeth jusqu'à l’inéluctable conclusion tragique : trois
sorcières prédisent leur avenir à Macbeth et Banquo, deux nobles écossais.
Macbeth deviendra seigneur de Cawdor, puis roi. Banquo ne sera pas roi, mais
ses descendants le seront. Immédiatement après, Macbeth apprend qu’il a été nommé
seigneur de Cawdor, validant ainsi la prophétie, qui devient ensuite
auto-réalisatrice. Lady Macbeth n’aura que peu de mal à convaincre son époux
d’assassiner dans son sommeil le roi Duncan, s’emparant ainsi de la couronne,
mais les époux sombrent immédiatement dans une paranoïa sanguinaire, faisant
assassiner leurs amis devenus rivaux potentiels et leur famille, pour faire
mentir le destin promis à Banquo par les sorcières. Peine perdue, Lady Macbeth
meurt emportée par la folie, Macbeth, souverain haï, sous les coups d’une
rébellion emmenée par ses anciens compagnons d’arme. Un tableau sombre, la
chronique d’une chute dans l’abîme d’un homme initialement pas moins bon qu’un
autre, qui sombre pourtant, aiguillonné par l’envie, l’orgueil.
Monochromie
Barrie
Kosky a pris le parti de bâtir tout l’univers visuel de sa mise en scène comme
une métaphore du texte, en concentrant, voir réduisant la pièce au seul couple
Macbeth, et représentant visuellement la noirceur de la pièce, l’absence
d’espoir ou d’échappatoires à la mécanique tragique. Concrètement,
quasi-intégralement, la scène est plongée dans le noir à l’exception d’un halo
blanc blafard au milieu duquel chantent Macbeth ou Lady Macbeth. Tout est noir,
le décor (ou son absence), les costumes, même le sang, figuré par des plumes
noires.
Je serai
franc, la mise en scène ennuie. C’est trop statique, puisque les personnages ne
sortent quasiment pas d’un rectangle de 4 mètres carrés, et l’absence
d’artifice et d’espace fait peser toute la responsabilité d’animer la mise en
scène sur le talent dramatique des interprètes. C’est beaucoup pour des
artistes qui ont après tout choisi la musique, et non le théâtre. Evelyn
Herlitzius réussissait le miracle de tenir à bout de bras l’Elektra de Martin
Kusej par l’intensité et la qualité de son interprétation, mais Markus Brück et
Tatiana Serjan sont écrasés dans leur carré de lumière. Les interprètes n’ont
presque rien à faire : les émotions intenses ou bien la souffrance sont représentés par les personnages se mettant soudainement à respirer de manière gutturale, gimmick
récurrent auquel les interprètes se plient avec des mines profondément peinées.
Kosky dévie
extrêmement peu de sa mise en scène en noir et blanc, et il ne s’en éloigne par
toujours de manière judicieuse. La principale distraction consiste en un groupe
de personnages en tenue d’Adam (et non d’Eve, puisque hommes et femmes sont
dotés de prothèses masculines en plastique du meilleur goût), figurant en
alternance les sorcières, des soldats, le peuple. Kosky semble trouver l’idée
bonne, puisque de nombreuses, silencieuses et assez interminables minutes sont
consacrées à faire avancer du fond jusqu’à l’avant de la scène la troupe
nudiste. Absolument aucun rapport avec l’œuvre (vu le climat, l’Ecosse n’est
pas connue comme un haut-lieu du naturisme), bien entendu. J’ai tendance à
souscrire à l’adage selon lequel, dans une large majorité de cas, le recours
par un metteur en scène à la nudité dénote un manque d’imagination, une
paresse, de la même manière que d’aucuns reprochent aux gens qui s’habillent en
noir facilité et manque d’imagination, et sur ces deux plans, Barrie Kosky
livrait une copie bien paresseuse.
Pourtant,
de la même manière que le noir peut aussi être une couleur très esthétique, il
y de l’idée et quelques traits d’élégance dans la mise en scène de Kosky. L’univers
visuel est cohérent, montrer l’absence absolue d’espoir dans la pièce en
rendant jusqu’au sang noir fonctionne assez bien, et la scène, entièrement plongée
dans le noir si ce n’est pour quelques traits de lumières qui figurent un
corridor se refermant derrière Macbeth, est d’un minimalisme assez élégant. Il
y a quelques belles images, comme cette balle roulant de l’obscurité jusqu’au corps
de Banquo agonisant, pour représenter la fuite de son fils, qui jouait quelques
instants avant avec cette balle. Une scène, même, est brillante, la scène du
banquet, où le roi Macbeth et la reine sont assis seuls au centre de la scène
dans leur halo blafard, quand les courtisans sont dans la pénombre sur les
côtés, et lancent, mécaniquement, des cotillons sur le couple royal, seule
trace de couleur de la pièce. C’est le seul moment où Kosky va réellement au
bout du potentiel de son univers : cette image du couple, entouré à
distance par ses courtisans, mais finalement seul, ni aimé ni apprécié, qui se
jette, seul dans l’abîme, et cette gaieté factice, des courtisans d’une part,
de Macbeth et de Lady Macbeth d’autre part, déjà plongés dans la paranoïa, et
festoyant alors qu’ils viennent d’apprendre la mort de Banquo. Hélas, le reste
du temps, Barrie Kosky ne va pas au bout de ces choix, et on se contente de
deux personnages sous un plafonnier sur une scène entièrement noire, sans
réelle mise en scène. On s’ennuie. C’est paresseux. S’il n’y a pas plus
d’effort à faire en tant que metteur en scène que d’aller acheter un plafonnier
chez Ikea…
Mention assez bien
Les mises
en scènes sobres sont en général un bon véhicule pour les grandes
distributions, quand les interprètes peuvent focaliser sur eux toute
l’attention, quand une mise en scène trop riche serait une distraction
fâcheuse. De ce point de vue, Kosky et son minimalisme avaient aussi placée la
barre un peu trop haute. La Philharmonie de Zürich est efficace, Markus Brück tient
bien son rôle en Macbeth, sans briller. Le rôle de Lady Macbeth est quant à lui
difficile, les quatre airs du rôle faisant appel à des registres très
différents. Tatiana Serjan force un petit peu dans les vocalises de son premier
air, mais se tire très bien des autres morceaux de sa partition, nettement plus
beaux. Pavol Breslik est un très bon Macduff. Wenwei Zhang, que j’attendais de
retrouver avec impatience depuis Aïda, est sous-exploité. On pourra faire le
reproche à Teodor Currentzis de ne pas être parvenu à faire réellement vivre la
partition : musicalement, Macbeth
est marqué par une tensions constante, un rythme vif, qui maintient ses
personnages sous une forme de pression. On aurait aimé entendre un peu plus de
cette tension, un peu plus d’élan, même si l’interprétation n’a toutefois rien
de vilain. Ce qu’il y a de vilain, par contre, c’est le chœur de l’Opéra de
Zürich, pas net, mal ajusté et peu audible.
À minima
Faut-il ou
non aller voir Macbeth ?
Difficile de répondre. La mise en scène a un parti-pris intéressant, de bonnes
idées, mais qui sont malheureusement sous-exploitées au profit de gadgets sans
intérêt, et est sinon très pauvre en dehors de son idée de départ.
Musicalement, ce n’est ni mauvais ni brillant, on a plaisir à écouter Tatiana
Serjan passé son premier air. Ce n’est pas indispensable, ce n’était pas une
mauvaise soirée pour autant. On ressort simplement déçu, après une production
où le metteur en scène confond sobriété et paresse intellectuelle, et coupe son
effort à mi pente quand bien même il faisait montre d’un bon potentiel.
Swann
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