Opéra en 5 actes de Claude Debussy d'après Maurice Maeterlinck (1902)
Direction : Alain Altinoglu - Mise en scène : Dmitri Tcherniakov
Opernhaus Zürich, 14 mai 2016
Mélisande (Corinne Winter) et Golaud (Kyle Ketelsen) - Crédit photo : T + T Fotografie - Opernhaus Zürich |
L’opéra ne
consiste pas seulement à faire porter de (plus ou moins) jolis costumes à des
chanteurs installés dans un (plus ou moins) beau décor, il s’y ajoute aussi une
dimension narrative, parfois littéraire. Il est donc toujours agréable de
découvrir un opéra écrit dans sa langue maternelle, surtout lorsque le style
d’écriture est aussi particulier que celui de Maeterlinck pour Pelléas et Mélisande. Avec une pensée
pour nos amis non-francophones qui n’y ont vu que du feu, parlons donc Debussy.
Pelléas et Mélisande est l’unique opéra compose par Claude Debussy,
dont il écrit le livret à partir d’une pièce de Maurice Maeterlinck. La pièce
est de style symboliste, et se distingue par une absence d’effets de style dans
le texte. Cela se traduit par des dialogues très simples, naïfs presque.
Associé à l’absence de contexte, d’époque ou de lieu clairement définis, cela
donne un caractère étrangement abstrait au livret. Pour l’anecdote, Maeterlinck
et Debussy restèrent brouillés après la création, non pas à cause de l’adaptation
qu’avait Debussy de la pièce, mais du refus de celui-ci de donner le rôle-titre
à la maîtresse de Maeterlinck.
En attendant
Golaud
Le prince Golaud
se perd dans une forêt lors d’une partie de chasse, et rencontre au bord d’un
lac une jeune femme, Mélisande, effrayée et craintive, qui semble perdue elle
aussi. Golaud tente de l’apaiser et tombe du même coup amoureux d’elle. Ils
reviennent ensemble au château, et Golaud épouse Mélisande. Mélisande reste une
personne à part : son passé reste inconnu, ses actions parfois
incohérentes. Elle se prend d’amitié pour Pelléas, le jeune frère de Golaud, au
caractère lunaire, et s’éloigne de plus en plus de son mari à mesure qu’elle se
rapproche de Pelléas, leur relation restant néanmoins platonique. Pelléas et
Mélisande décident de fuir le château ensemble. Sous le coup de la jalousie, Golaud
blesse mortellement son frère Pelléas. Mélisande accouche d’une petite fille
puis meurt, laissant Golaud sans réponse à sa question : l’a-t-elle
trahi avec Pelléas ?
Réduite à ses
éléments constitutifs, l’histoire n’est pas sans intérêt : comment se détruit
le lien qui unit deux frères, le lien entre un mari et son épouse, par
l’introduction d’un élément perturbateur, Mélisande. Mélisande, aimée, mais
dont les personnages ne comprennent pas les actions, et à l’exception de
Pelléas n’acceptent pas telle qu’elle est. Mélisande n’a pas de passé, pas de
famille, et trouble les autres personnages par ses actes innocents mais si
étranges, incompréhensibles. Deux éléments nuisent cependant au livret. En
premier lieu, Mélisande n’est finalement pas un personnage à part entière, mais
seulement un élément perturbateur. En dehors de cette fonction, le personnage
est une coquille vide. Enfin, surtout, le cadre façon conte de fées (châteaux,
rois, princes et princesses, murailles…), considéré sans aucun recul, est d’une
étouffante mièvrerie.
La princesse qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette
Dmitri
Tcherniakov offre une lecture alternative du livret qui permet de résoudre ces
problèmes avec une grande élégance, en faisant du prince Golaud un psychiatre
et de Mélisande initialement sa patiente, une jeune femme psychotique, angoissée,
en proie à des hallucinations. La forêt, le lac dans lequel Mélisande menace de
se jeter, n’existent que dans sa tête. Golaud la trouve sur le divan de son
cabinet, et a pour but de la ramener de ses hallucinations au monde réel.
C’est une option
remarquablement intelligente que choisit Tcherniakov : elle permet de
faire abstraction du contexte de conte de fées naïfs du livret, qui devient finalement
un mirage n’existant que pour Mélisande, s’intègre élégamment à l’œuvre, et
ajoute une véritable dimension au personnage. Désormais, Mélisande a une
cohérence, un être malade que tous, Golaud le premier, veulent croire guérie, à
tort. Cela permet d’insuffler à la première partie un souffle, une logique qui
fait défaut dans le livret.
Surtout, cela renforce
la dimension dramatique du personnage de Golaud, véritable héros tragique de Pelléas et Mélisande, malgré le
titre : le drame final est la conséquence d’une erreur de diagnostic, d’un
aveuglement tragique de Golaud au sujet de sa patiente.
Sur le plan
musical, c’est une très agréable partition, typique, on retrouve y facilement
la patte de Debussy. C’est une expérience intéressante d’entendre Debussy
s’essayer à ce type de format long, où la musique suit les méandres d’une
histoire. De plus, Debussy ne subordonne pas le livret à un découpage en arias,
duos et solos : chaque phrase du dialogue n’est proférée qu’une fois,
l’intrigue avance et la musique suit de manière très fluide. La direction
d’Alain Altinoglu laisse se développer très joliment la partition, l’orchestre
livrant sous sa baguette une interprétation vive, précise, légère tout à fait
appropriée.
Comme dis plus
haut, le vrai héros de cet opéra n’est ni Pelléas, ni Mélisande, mais bien
Golaud, et ce sentiment était renforcé par l’interprétation de Kyle Ketelsen
qui dominait de la tête et des épaules le reste de la distribution. Il confère
à son personnage un halo d’autorité cachant une rage et une jalousies latente,
un homme de pouvoir pouvant néanmoins se mettre au niveau de ses patients. Des
membres de la distribution, il est le seul capable de faire émerger une sorte
d’aura autour de son personnage.
Corinne Winters
est très bien dans le rôle de Mélisande, et Jacques Imbrailo est un bon
Pelléas, sans qu’ils ne suscitent pour autant le même engouement que Ketelsen.
Tout part
malheureusement un peu à vau-l’eau à partir du quatrième acte. La faute en
revient à Debussy, qui tout d’un coup étire et délaye son sujet : il ne se
passe pas grand-chose, la partition se répète un petit peu, et Tcherniakov ne
parvient pas à trouver la solution pour passer l’obstacle. Quant à l’acte
final, un peu long lui aussi, Tcherniakov est particulièrement peu inspirée
dans une mise en scène à minima et cruellement dénuée d’émotion : la mort
de Mélisande est traitée avec des personnages presque statiques, tenus à
distance. Une agonie de plus sensiblement interminable dont on attend avec
impatience le dernier soupir. A comparer avec la mort de Mimi dans La Bohème, plus tôt cette saison.
Le marasme final
s’étend malheureusement aussi à l’interprétation : l’orchestre perd en
netteté, et la diction des interprètes devient quasi-incompréhensible pour une
large partie de l’acte 5 (et c’est très frustrant de devoir se rabattre sur les
sous-titres en anglais parce qu’on a plus aucune idée de ce qu’ils disent en
français).
En conclusion,
Dmitri Tcherniakov proposait une lecture intéressante de Pelléas et Mélisande tandis qu’Alain Atinoglu livrait une interprétation
compétente de la partition de Debussy, portée par Kyle Ketelsen dans le rôle de
Golaud. Mais il est infiniment regrettable qu’ils n’aient pas réussi à
manœuvrer autour des lourdeurs de la fin de la pièce, où ni la mise en scène ni
l’interprétation ne convainquent dans les derniers actes, qui plombe un peu l'impression qu'on emporte lorsque le rideau se baisse.
Swann
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